“Data, algorithmes et modèles” / Connecteur Recherche Transitions²

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Qu'attendre de la Recherche sur la modélisation des écosystèmes et du changement climatique fondés sur d'importants volumes de données ?

“Data, algorithmes et modèles” / Connecteur Recherche Transitions²

Cette synthèse est issue de la journée “Connecteur Recherche Transitions²” du 14 juin 2016.
Près de 60 chercheurs et praticiens impliqués dans la Recherche à la croisée écologie/numérique se sont rassemblés pour :

 
  • identifier les sujets, pistes, controverses, ... sur lesquelles la Recherche pourrait vouloir travailler dans les années à venir ("Voilà ce qu'on sait qu'on ne sait pas, et voilà comment on pourrait vouloir y travailler")
     

  • exprimer ce qu'un travail de Recherche sur ces questions pourrait déclencher en terme d'action pour les acteurs, qu'ils soient privés, publics, associatifs,... ("Si on avait une meilleure connaissance sur ce thème, cette question, cette controverse... voilà ce que ça débloquerait concrètement en terme écologique")

 

Introduction au sujet

Que peut-on attendre de la modélisation des écosystèmes comme du changement climatique qui se fondent sur d'importants volumes de données ? Comment en faciliter l'accès et l'usage, et en faciliter la critique ou l'usage à des fins de débat ? Quels enjeux politiques et éthiques font jour et comment les traiter ?

 

Pourquoi ce sujet ? Pourquoi il est monté ?

 

  • Une grosse frénésie autour des big data

  • Des promesses de changement radical, mais un manque de recul

  • Un sujet qui interroge la place du chercheur

 

Une promesse : l'exploitation de plein de data pour éclairer et anticiper les défis climatiques, biodiversité, ville durable...

 

Les grandes questions qu’on se pose :

  • Quelle connaissance, quelles décisions, peut-on attendre des modèles basés sur des données ?

  • Comment peut-on à la fois améliorer ces modèles, en faciliter l'accès et l'usage particulièrement au niveau local, et en faciliter la critique ou l'usage à des fins de débat ?

 

Ex : Big Data Climate Challenge de l'ONU, 2014

> Global Forrest Watch

> Data 4 development

 

Mais des embarras :

 

  • Des imaginaires ... sans rien derrière ? (Smart City)

  • Fiabilité des modèles, transparence...

  • Où trouver des data ? Sont-elles fiables ?

  • Des questions éthiques : nouvelles expertises vs mise en capacité, culpabilisation,

  • Quelles décisions relatives au climat les machines pourraient-elles prendre de manière plus fiable que les humains, y compris parce qu'elles seraient moins sujettes à des conflits d'intérêt ?

 

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1- Jean Danielou, Engie Lab

 

La contribution s'appuie notamment sur un travail sur la Smart City du PUCA, mené en collaboration avec François Menard, mais aussi de l'expérience chez Engie Lab.

Référence : Smart City, une enquête sur la Ville Intelligente : http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/LIvre_la_ville_intelligente.pdf

 

Dans le discours industriel,  il y a une continuité affichée qui permet de vendre la notion de ville intelligente comme une réalisation concrète de la ville durable : verdir les bâtiments, décongestionner le trafic, etc. L'idée pour les concepteurs est d’arriver a une meilleure infrastructure urbaine grâce à la captation de données, qui permettent d'élaborer des solutions aux problèmes d'eau, de déchet, de transport ou du citoyen (santé, connaissance, etc.).

 

L'objectif affiché, c'est l'optimisation : les réseaux urbains étaient arrivés à un niveau de saturation tel qu'on ne peut plus les sauver, mais les optimiser. C'est ça, la "ville intelligente".  

Exemple typique, le “smart parking” : les gens ne trouvent pas de parking, donc mettons des capteurs  pour savoir si la voiture est présente ou non, avec amendes à la clefs, ce qui permet de mieux contrôler les flux.

 

Mais la Ville intelligente est sujette à de nombreuses critiques :

  • La consommation énergétique des capteurs : le coût de l'énergie grise du déploiement de capteurs : on peut bien résoudre les problèmes de congestion, mais est-ce de la durabilité ?

  • Des question géopolitiques : la production de ces dispositifs nécessitent l'exploitation de terres et métaux rares, qui peuvent engendrer des conflits dans les pays où on les trouve (ex : Coltan).

  • L'efficacité des cycles : Olivier Coutard et Jonathan Rosenford) ont travaillé sur le fait que l'accomplissement de la ville durable par la ville intelligente reposait sur un faux problème : en considérant les flux de matière dans les métropoles de manière linéaire, on rentrait dans un cycle non durable puisque les flux sont captés et rejetés très loin sur la surface terrestre. Ainsi, la promesse de la ville durable doit reposer sur des boucles plus courtes, ce que ne proposent pas aujourd'hui les capteurs.

  • La question des infrastructures énergétiques. L'enjeu est de trouver des systèmes performants a un niveau local qui puissent s’appuyer temporairement sur le réseau : il y a un équilibrage micro/macro à trouver et pas sur que l'instrumentation informatique de l’infrastructure classique le permettent. Certains acteurs comme Engie ont beaucoup investi sur les techno de la décentralisation.  

 

Ressources et rebonds

  • Francoise Berthoud : l’impact des TIC, avec un chap sur les terres rares dedans.  

  • Rapport "Micro-Macro", L. Bigtagnio, politechnico de Turin

  • Dominique Boullier - Analyse des discours de la ville intelligente dans "sociologie du numérique"

  • Olivier Coutard, J. Rutherford : "La ville post-réseaux" ("la ville intelligente est un faux problème")

  • Séminaires du PUCA "Villes Intelligentes" et "l'art d'augmenter les Villes"

  • Smart City, une enquête sur la Ville Intelligente : http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/LIvre_la_ville_intelligente.pdf

 

> Le discours de la Smart City

L'analyse de discours montre bien que les capteurs sont des objets politiques et sociaux. On demande aux technologies de répondre à des questions dont la construction politique est peu claire.

Pourtant, le discours est en train de changer : on parlait de Smart city, on commence à parler de "living city", voire même on arrête de parler de Smart City (IBM). Les discours sont moins linéaire, on commence à envisager la ville comme un espace de désordre positif. D'une certaine manière, on est en train de dépasser le discours "bien/mal" de la Smart City.  

 

> L'accès aux data

Si on vend au responsable public la possibilité d’avoir des traitements automatiques, des mesures, de la décongestion, etc. il faut bien poser des capteurs : comment le décideur public peut-il prendre des décisions rationnelles sans données sur le trafic ? La question principale, est toujours la même : comment donner l’accès aux données aux collectivités et aux citoyens.

 

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2- Antoine Courmont, Grand Lyon

Aujourd'hui, l’adjectif "durable" s'est perdu : on ne parle plus que de "ville intelligente" alors qu’on parlait de ville intelligente et durable. Pourquoi, malgré les discours, les deux ne se connectent pas tant que ça ? (durable et intelligente).

 

Si on regarde du côté du projet de la métropole de Lyon, on voit que le concept évolue.

En 2012, le discours était très techno ("capteurs, données, innovation, optimisation…"). Puis, depuis 2015, on commence à parler de "culture du numérique", de mobiliser la culture du "hacking" etc.

 

Pour autant, la dimension "durable" de la Smart City est soumise à des tensions :

  • si la dimension "durable" revient via les concepts de circularité et de résilience, est-ce que cela suffit néanmoins à parler de "soutenabilité" ?

  • la temporalité : les données, les capteurs engagent à travailler sur du temps réel, des temps très courts qui obligent a être très réactifs ; pour autant, le développement durable travaille sur de la perspective de long terme.  Par ailleurs, cela interroge le travail des aménageurs, qui sont plutôt habitués à travailler avec des données vieilles de 3 ans.

  • la responsabilité : on a tendance à faire reposer les objectifs sur les comportements individuels. Or certaines contraintes (comme le temps de trajet domicile-travail) dépassent l’échelle individuelle

  • la linéarité/circularité des flux : c'est une perspective, mais qui pose de difficiles problèmes d’accès aux données, et de granularité des données.  

  • Par ailleurs, la création de nouveaux réseaux (smart grids) pose des questions d'équité, avec des quartiers plus ou moins équipés :  est-ce que ça ne remet pas en question notre capacité à vivre ensemble ?

  • Sur l'usage des données : on a besoin de la donnée, car elle va conditionner la prise de décision, la vente, etc.  Mais est-ce qu'on parle là de vrais enjeux de transformation de la ville ? On est plutôt du côté de l'optimisation. Mais il y a un revers de la médaille : l'optimisation des comportements fragilisent les systèmes, il faut conserver la variété dans les systèmes humains.  Il y a différentes catégories de modèles dans l’aide à la décision. Moins on est proche de l’humain et du social moins ça marche.  

 

Ressources et rebonds

  • Adolphe Quetelet et l'invention du terme de "physique sociale"

  • Alex Petland "social Physics"

  • Antoinette Rouvroy, sur la "gouvernementalité algorithmique et perspectives d'émancipation"

  • Bernard Multon, sur les boucles locales d'énergie

 

Pistes complémentaires :

  • Danger de chercher la bonne solution et de l’appliquer une bonne foi pour toute de manière massive.

  • Comment les dispositifs d’information deviennent des moyens de capter, mais aussi de recevoir ? Et qui du coup, ne soient pas trop coercitif et prescriptif ?  

  • Il est parfois contre-productif de chercher à diriger les comportements, d'arriver à une norme. C’est très fort sur l’effet rebond (ex : les gens vont consommer comme des malades parce qu’ils pensent que le bâtiment consomme moins...)

 

3- Thierry Marcou, Fing, Nos Systèmes « pour une retro-ingenierie sociale des systèmes techniques »

 

Le projet "NosSystèmes" initié par la Fing se fixe pour objectif de rendre les systèmes techniques (programmes, automates, modèles…) plus intelligibles au profit du dialogue et de la négociation entre les utilisateurs, les systèmes techniques et ceux qui les créent ou les exploitent. L’attention se tournera vers les connaissances et les décisions qui sont prises à partir de ces données : "loyauté des algorithmes", éthique et lisibilité des programmes, pertinence et ouverture des modèles…

 

L'idée est de pouvoir rendre les systèmes techniques plus intelligible, et voir ce que ça change pour ceux qui les conçoivent et ceux qui les utilisent.  

Un exemple type et d'actualité est le logiciel APB (Admission Post-Bac), où ce sont les médias qui assurent aujourd'hui une bonne part de la rétro ingénierie des systèmes.  

Pourtant, à travers cet exemple, on sent qu'il y a des besoins de développer le hacking social des systèmes techniques : on est tous capables de braconner un peu... La "Smart City" est à ce titre un autre terrain de jeu ; il est d'ailleurs amusant de noter que certains grands acteurs comme IBM cessent d'utiliser ce terme…

 

Il y a donc au moins 2 pistes sur lesquelles la Recherche pourrait vouloir se pencher :

  • le braconnage, le bricolage, la triche … les tactiques et stratégies des usagers face aux systèmes techniques

  • un travail de description sur l'intelligibilité des systèmes techniques

 

Ressources et rebonds

- Dominique Cardon : "à quoi rêvent les algorithmes ?"  ?

L'apport du livre est notamment le "Désenvoutement" : derrière tout ça, ce sont des modèles qui marchent mal, avec des données assez sales.  

- La question de l'opacité est centrale et n'est pas neuve, elle se pose aussi dans le domaine de l'environnement : qui produit le modèle ? Des informaticiens ? Ceux qui ont la connaissance du modèle n’arrivent pas à choisir les moyens pour y aller.  

Qui fait quoi ? Qui doit définir ?  

-  On a l’habitude aujourd’hui de requestionner les modèles, mais pas les données : d’où vient la donnée ?  On oppose une modélisation scientifique qu’on a l’habitude de questionner, et peu vis a vis de la data !!

- Il ne pas surévaluer le rôle des modèles dans la prise de décision, il n’y a pas forcement d’algorithme derrière toutes les décisions.  

 

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4- Jean-Yves Longaretti, INRIA

 

Quand on parle de modèles, on parle de choses différentes :   

- des modèles très complexes

- des modèles très simples, pour répondre a des questions spécifiques

- Au milieu, il y a tout le reste, des modèles de sciences sociales, économiques…

 

Le problème est que ces modèles ne se parlent pas entre eux, même si ils s’intéressent à la même question.  

L'enjeu, quand on aborde un problème, c'est de faire intervenir un nombre considérable de disciplines différentes : trouver le bon niveau de modélisation qui n’est pas forcement le niveau disciplinaire. On est trop en déficit sur ce point-là.  

 

Les modèles que l'on peut mobiliser sur les grands problèmes environnementaux sont de nature très différentes. Il ne répondent pas seulement à des questions différentes, mais ne se placent pas selon les disciplines et les questions posées dans la même perspective en termes d'interaction entre recherche et décideurs.

 

Les modèles environnementaux travaillent sur l'analyse de flux et de matières sur un territoire : l’objectif est de caractériser en terme physique ce qui rentre, qui sort, qui est produit, consommé sur place, etc. et comment on peut qualifier les impacts environnementaux associés.

La dynamique humaine est vue comme une contrainte pour voir comment les modèles réagissent à ça.  

L'enjeu ici, quand on veut par exemple informer au maximum les collectivités territoriales, c'est que l’influence ne concerne pas la défense du point de vue mais montrer les différentes options possibles : on vit dans un monde complexe, quoi qu’on fasse, on perd sur quelque chose et on gagne sur autre chose.

 

Face aux enjeux complexes du moment, plusieurs questions importantes se posent sur l'implication des chercheurs dans l'aide à la décision. Celle-ci est de plus en plus nécessaire, et pas seulement dans le cadre du GIEC. La forme de cette implication est tout aussi critique que son niveau pour maintenir la crédibilité de la parole scientifique. Mais il faut souligner qu'il devrait s'agir de moins en moins d'un modèle linéaire "commande politique / réponse experte / décision politique". La production de modèles, de simulations, de bases de données etc. est probablement la facette la moins critique de ce type de question : est-ce qu’on est là pour gérer la complexité ou pour l’augmenter? Car il y a des effets externes dont il faut tenir compte : des formes de dépolitisation du débat, de report de la responsabilité sur les  comportements individuels....

L'enjeu politique est vraiment de remettre la question de la durabilité comme une question politique cognitive.

 

C'est assez flagrant sur la "smart city" : on continue a raisonner dans le même cadre et à faire des améliorations incrémentales. On est ainsi écartelé entre les demandes du système (amélioration incrémentale) et en même temps on s’interroge sur les "méta-questions" derrière. On passe à la trappe la question de l’acceptabilité sociale, alors qu'il y a une inégalité fondamentale devant notre capacité à contourner le systèmes technique. Sachant que de toute façon, les gens vont accepter une décision si ils peuvent à la fois participer et s’ils la perçoivent comme légitime.  

 

L'enjeu, c'est surtout de ne pas continuer dans le sens où on va : historiquement, la course à la complexité finit toujours par un effondrement, plus ou moins lent…

 

L'enjeu, c'est surtout de ne pas continuer dans le sens où on va : historiquement, la course à la complexité finit toujours par un effondrement, plus ou moins lent…

 

Ressources et rebonds

  • Joseph Tainter, The collapse of Complex society

  • Agenda 21, chapitre 40 "L'information pour la prise de décision"

  • Urban Climate change research network (UCCRN)

Green IT Cout environnemental de l'énergie grise Exploitation des terres rares dans la smart city, y