“Low Tech et frugalité” / Connecteur Recherche Transitions²

Knowledge
  • fr
  • Download as PDF

Que sait-on vraiment des nouvelles formes de frugalité outillées par le numérique : consommation collaborative, “Communs”, Makers...

“Low Tech et frugalité” / Connecteur Recherche Transitions²

Cette synthèse est issue de la journée “Connecteur Recherche Transitions²” du 14 juin 2016.
Près de 60 chercheurs et praticiens impliqués dans la Recherche à la croisée écologie/numérique se sont rassemblés pour :

  • identifier les sujets, pistes, controverses, ... sur lesquelles la Recherche pourrait vouloir travailler dans les années à venir ("Voilà ce qu'on sait qu'on ne sait pas, et voilà comment on pourrait vouloir y travailler")
     

  • exprimer ce qu'un travail de Recherche sur ces questions pourrait déclencher en terme d'action pour les acteurs, qu'ils soient privés, publics, associatifs,... ("Si on avait une meilleure connaissance sur ce thème, cette question, cette controverse... voilà ce que ça débloquerait concrètement en terme écologique")

 

 

Introduction au sujet

Que sait-on vraiment des nouvelles formes de frugalité largement outillées par le numérique : consommation collaborative, nouvelles formes de “Communs”, pratiques des Makers qui mettre la culture de l’agilité ou de l’“open” au service de la désobsolescence, de la réparabilité des objets ou du recyclage ? Quelles autres approches émergent, sur lesquelles la Recherche devrait travailler à l’avenir ?

20160614_150833.jpg

1 - Hugues Aubin, MY HUMAN KIT : illustration concrète d’une innovation frugale

 

L’association My Human Kit part du projet Bionicohand, une alternative aux prothèses fabriquées industriellement, souvent peu accessibles.

 

L’objectif est de proposer “une prothèse du membre supérieur à bas coûts, en utilisant des pièces standardisées et open source, facilement réparable et donc accessibles aux personnes à faibles ressources financières”.

 

Pour Nicolas Huchet, le fondateur de l’association et du projet Bionicohand, la technologie apporte un chemin vers l’empowerment, un passage de handicapé à chef de projet. Fabriquer et réparer - en fablab par exemple - sa prothèse, son fauteuil, son radar portatif (pour les malvoyants), …, devient possible.

 

La difficulté d’une telle démarche vient souvent de la crédibilité vis-à-vis du monde médical et de la santé. Pour y pallier, deux nécessités : une documentation précise de la démarche et des collaborations à mettre en oeuvre entre nos deux mondes.

 

Un des symboles de la réussite du projet est l’ouverture prochaine d'un premier fablab dédié, de 400m2 à Rennes et l’essaimage dans d'autres lieux (en 2018 il y aura une trentaine de lieux se déclarant de ce projet).

 

Quels besoins entre la recherche et ce terrain ?

 

  • L’objectif est de transformer les expertises des uns et des autres pour mieux vivre. On est ici dans la recherche appliquée, comment relier le fruit de la recherche avec les usages actuels ?

  • Manque d'espace pour les chercheurs pour exprimer, échanger, oser et avoir une boucle de rétroaction tangible. Ici nous ne sommes pas dans un registre de chercheurs, mais dans un “remix” qui est fait par les tiers. Sur ce terrain, une chercheuse intervient déjà, mais en bénévole.

  • L’association aura besoin d’une connaissance plus grande du monde l’open source sur les régimes de licence.

 

2 - Philippe Durance, Cnam : frugalité, changement de modèles et place de la recherche

 

Deux aspects de la frugalité :

 

  • Une idée de la frugalité où l’ont fait avec peu de moyen,de manière sobre. Ce qui répond bien aux grands principes du développement durable. On compense la rareté des moyens par la multitude des ressources (courant de l’open : Open Data pour la multitude des données, etc).

  • Une idée de la frugalité où l’on est dans une utilisation sobre des ressources, avec ce qui est un des effets positifs de l’économie de fonctionnalité : l'acteur gardant la propriété du bien qu’il produit, il va chercher à en assurer la plus longue longévité.  

 

Aujourd’hui la consommation est basée sur le principe d’obsolescence. Tous les moyens sont bons pour rendre un produit obsolète. La frugalité repose sur cette lutte contre l’obsolescence, pouvoir réutiliser, pouvoir réparer, et prendre du plaisir dans la réparation.

 

Nous sommes dans des sociétés avec de grands angles morts. La condition du changement social c’est de changer de modèle. Or l’Etat est persuadé qu’accompagner le changement social c’est faire de la recherche, qui va alimenter la R&D, l’innovation. Il faut pouvoir trouver d’autres références, à d’autres modèles et s’extraire du modèle idéal, souvent non crédible d’ailleurs, d’une société qui s’organise par elle même.  

 

Paradoxalement à une époque où la recherche est très liée à la métrique, l’existence de ce type de structure (association mobilisant des chercheurs, comme My Human Kit) est un moyen de retrouver un idéal de recherche. Il y a une volonté de se rapprocher d’acteurs qui sont en dehors des clous. Cependant les chercheurs proches de My Human Kit sont bénévoles… Les structures de la recherche traditionnelle ne sont ni satisfaisantes ni soutenables, comment proposer aux chercheurs de nouveaux modèles de recherche ?

 

Lorsqu’on parle de production de connaissance, ceux qui produisent de la connaissance scientifique sont dit chercheurs. Dans le domaine de l’écologie, les équipes de recherche se reposent sur les associations, c’est un domaine dans lequel la notion de science citoyenne a beaucoup d’importance.  

 

Capture d’écran 2016-07-22 à 12.52.39.png

3 - Marine Albarede, Fing : essaimages des initiatives urbaines frugales

 

L’expédition “Alléger la ville” de la Fing a creusé pendant quelques mois 4 territoires d’innovation, qui ont servi d’orientation. Parmi ces 4, la frugalité : est-ce qu’une ville “smart” peut être frugale ?

 

“Faire mieux avec moins, tout en rendant ce chemin désirable par tous et non pas subi, dans un contexte de baisse des ressources énergétiques, spatiales, matérielles. Tel est l’enjeu de ce territoire transversal, qui s’appuie sur des initiatives variées : des communautés déjà engagées dans des initiatives de transition, une économie collaborative permettant d’exploiter la capacité excédentaire de certains biens et de partager, des espaces dédiés à la réparation, réutilisation, recyclage… Comment permettre à ces initiatives d’essaimer et de se développer, quels leviers actionner ?”

 

La Smart City laisse bon nombre de problématiques urbaines de côté. Le numérique comme vecteur d’optimisation reste une approche limitée. On observe une émergence de pratiques bien plus décentralisée, des entrepreneurs et citoyens qui construisent des projets collectifs, etc.  Peut-on parler d’innovation décentralisée et ascendante ?

 

La ville étant un système de plus en plus complexe avec des contraintes de plus en plus fortes (espace, écologie etc), les réponses peuvent être apportées par une meilleure coopération d’une action publique traditionnelle et d’une action décentralisée (bottom up).  

Qu’est-ce qui peut venir d’une innovation comme celle-là ? Si toutes ces ressources apportées par les citoyens doivent devenir une priorité, comment l’action publique doit évoluer pour faciliter l’articulation de l’ascendant et du descendant ?

 

Comment faire pour s’articuler ? Comment favoriser l’innovation ascendante ?  

- Mise à disposition de lieux pour ré-ancrer des pratiques collaboratives locales

- Repenser les financements - comment accompagner, faciliter ? Dans Alléger la ville, l’accent a été mis sur comment faire émerger des plateformes de crowdfunding urbain.

 

A Madrid des citoyens, des collectifs se sont emparés des nombreuses friches pour en faire des lieux d’expérimentation sociale allant du culturel à des centres sociaux, de médiation...  

 

Cependant les innovations qui visent une plus grande frugalité sont parfois à double tranchant. Lorsqu’on partage un objet avec d’autres, l’objet est plus utilisé, il arrive plus rapidement à la fin de son cycle de vie. Les pratiques citoyennes collaboratives ne sont pas forcement plus durables… Est-ce qu’il ne faut pas articuler davantage l’économie de la fonctionnalité et l’économie collaborative ?  

 

20160614_150916.jpg

 

Selon Philippe Durance (Cnam), l’action publique poursuit deux objectifs :

1) Lancer une dynamique, une multiplicité d’initiatives. Ex : multiplier les lieux, les méthodes et mettre à disposition des citoyens des méthodologies pour aboutir aux solutions.   

2) Trouver des solutions. Accepter de se dire que les solutions existent quelque part et appliquer les principes de l’action publique accompagnant l’innovation sociale (autre solution de l’accompagnement : le partenariat).

 

A titre d’exemple, sur la Smart City on a beaucoup parlé du télétravail, être nomade dans son travail, etc. Or les lieux sont un ancrage nécessaire pour ne plus être isolé, des espaces de coworking ont émergé, car nécessaires a un usage qui se développe.

 

20160614_150846.jpg

4 - Tamer El Aidy, Les Petits Débrouillards : Les Low Techs, une frugalité distribuée

 

Sommes-nous tous makers ? Ici autour de cette table personne n’est inscrit dans un fablab.  

Quel dialogue entre d’un côté un monde qu’on peut modéliser avec un ordinateur et le monde pratique ? Il y a un un manque de dialogue entre la fabrication et la conception qu’on retrouve partout.  

 

Lorsqu’on parle des Low Tech aujourd’hui, on raconte l’histoire de la frugalité de manière plus distribuée. Mais ce qui manque c’est une cartographie de la connaissance : "je sais certains trucs, toi aussi, mettons-nous au commun". La modélisation des compétences, des liens, est très difficile. On ne sait pas raconter des chemins prospectifs. Toutes nos stratégies correspondent à un héritage culturel. Les métiers évoluent, on est obligés de réapprendre en permanence.

 

On parle de transformation sociale mais ne sait pas modéliser l’impact social. On ne sait pas modifier la société collectivement. On a les grands mouvements de groupe, mais au niveau de l’individu comment s’opère la transformation ? Comment devient-on maker ?  

 

Philippe Durance rappelle l’exemple de la ville Anglaise de Totnes, ou la transformation collective a eu lieu par le passage à l’action de quelques citoyens puis d’une majorité de citoyens.

 

Alexandre Monnin indique qu’il y a une frustration entre ce dont on parle, Low Tech/Frugalité, et ce que l’on trouve dans les modèles économiques actuels. Un objet technique seul n’existe pas, un objet est le résultat d’un système complexe avec des humains et des ressources. Le Low tech ne signifie pas moins d’intelligence, moins de science, cela signifie moins de matériaux, moins d’énergie consommée...  

 

En résumé, quelques thèmes abordés par les participants qui pourraient nourrir la recherche

 

  • Pour devenir maker, quelle acquisition de compétences est nécessaire, quelle cartographie des compétences, comment la modéliser ?

  • Le Low tech implique la réappropriation des outils, pour fabriquer. Cela peut devenir un plaisir (L’éloge du carburateur. Mathew Crowford), mais cela va au-delà du simple plaisir de bricoler, il y a une fabrication d’un objet tangible dans une société dématérialisée.  

  • Est-ce que les FabLab ne sont pas une préfiguration d’une démarche industrielle qui permettrait de relocaliser la production ?  

  • Quels modèles économiques ? Comment ces nouveaux modèles peuvent exister dans une économie où la tendance est l’industrialisation et l’obsolescence programmée ? Comment sortir de l’effet de niche (innovation ascendante) ?

  • Quelles licences ? Quels statuts juridiques ? Les valeurs de l’open source ne sont pas forcement les valeurs de la Low Tech, les communautés sont avancées chacune à leur manière.