La recherche d'un impact écologique est au coeur de l'innovation facteur 4. Mais comment le valoriser ?
Comment les innovateurs “Facteur 4”, qui privilégient l’impact environnemental de leur projet, peuvent-ils matérialiser cet impact et en faire des aspects valorisables de leur modèle d’affaires ? Comment reconnaître des stratégies efficaces de maximisation de l’impact comme parties intégrantes d’un modèle d’affaires viable, y compris lorsqu’elles ne se mesurent pas directement en termes monétaires ?
1. La notion d’externalités
Les “externalités” désignent les effets d’agents économiques les uns sur les autres, qui ne se traduisent pas par des transactions économiques. Elles peuvent être positives (ex. effet réseau) ou négatives (ex. pollution).
L’analyse économique classique considère les externalités comme des “défaillances de marché”. Elle y répond alors en cherchant à “internaliser les externalités”, c’est-à-dire à leur donner un prix :
- En recréant des marchés, comme les marchés de droit à polluer,
- Ou bien par un système de taxes (externalités négatives) et/ou de subventions (externalités positives) : taxe carbone, principe pollueur-payeur, subventions aux énergies renouvelables…
Mais l’économie numérique repose de plus en plus sur la génération et la captation massives d’externalités[i] : circulation des idées et des connaissances, open source, mobilisation active des consommateurs (économie collaborative) ou des autres acteurs de la chaîne de valeur (“écosystèmes”, innovation ouverte, clusters, “surtraitants”[ii])... Les externalités cessent d’apparaître comme des anomalies à corriger pour devenir des composantes centrales de la création et la captation de valeur. Yann Moulier-Boutang propose ainsi de distinguer deux “degrés” d’externalités :
- Les externalités de degré 1 sont clairement identifiées et mesurables et peuvent être réintégrées dans le calcul économique, soit par “l’internalisation” (voir plus haut), soit en les traitant comme des biens publics financés par l’impôt (la Défense, certaines infrastructures essentielles…)
- Les externalités de degré 2 doivent au contraire être soustraites au calcul économique, parce qu’elles ne se prêtent pas à ce genre d’arbitrage : le caractère habitable de la Planète, ou, selon lui, la circulation des connaissances. C’est sur cette base qu’il décrit l’idée d’une “économie-pollen”[iii], qui produirait structurellement beaucoup plus d’externalités positives qu’elle n’en consomme. L’enjeu est ici de maximiser la diffusion des externalités positives et d’en limiter l’appropriation exclusive (les efforts de régulation des plateformes).
Dans beaucoup de cas, les impacts environnementaux des Innovations Facteur 4 relèveront sans doute de cette seconde catégorie : si l’objectif de viabilité économique reste essentiel, le calcul économique, la maximisation de la croissance ou du profit, ne peuvent pas rendre compte à eux seuls de l’impact de ces innovations. Par exemple, le fait de rendre open source un dispositif qui génère de très importantes économies d’énergie peut en favoriser la diffusion rapide à l’échelle mondiale, sans pour autant enrichir son concepteur initial.
Mais comment intégrer cela dans la valorisation de l’entreprise et l’évaluation de sa performance ?
2. Le “Reporting Intégré” : une vision d’ensemble de la performance économique, sociale et environnementale de l’entreprise
Plusieurs initiative internationales visent à permettre aux entreprises de produire une information pertinente, fiable et reconnue sur leurs impacts économiques, sociaux et environnementaux, tout en les reliant de manière forte à leur capacité à créer de la valeur dans le temps. En particulier :
- La Global Reporting Initiative (GRI, www.globalreporting.org) se focalise sur les impacts et les relie à la création de valeur en termes de “risques et opportunités” pour l’entreprise ;
- L’International Integrated Reporting Council (IIRC, http://integratedreporting.org) relie de manière “intégrée” la performance économique de l’entreprise et ses impacts en termes de développement durable, en considérant le “modèle d’affaires” de l’entreprise et ses impacts sur “six catégories de capital” : financier, manufacturier, intellectuel, humain, social et sociétal, et environnemental.
A ce stade, les “standards” du GRI et de l’IIRC sont beaucoup trop complexes pour être mis en oeuvre par des petites entreprises et des startups. Cependant, il semble possible de s’appuyer sur leurs principes fondateurs pour identifier des manières simples et progressives d’intégrer l’impact dans la valorisation de l’entreprise.
2.1. Les principaux “principes fondateurs” du sustainability reporting
Quatre principes du GRI apparaissent particulièrement utiles :
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La “matérialité” : l’extension de ce concept très utilisé dans la finance vise à isoler les facteurs qui ont une influence particulière sur (1) la capacité de l’entreprise à générer de la valeur dans le temps, (2) ses impacts économiques, sociaux et environnementaux les plus importants et (3) les décisions et les actions de ses “parties prenantes”. Il s’agit donc d’identifier ces facteurs et de les hiérarchiser, pour se focaliser sur les plus importants, ceux dont l’influence est la plus grande.
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L’engagement des parties prenantes : il s’agit d’abord d’identifier les individus ou collectifs (1) qui sont significativement affectés par les activités de l’entreprise et/ou (2) dont les actions peuvent significativement affecter la capacité de l’entreprise à atteindre ses objectifs. Et sur cette base, de mener des démarches actives (et documentées) pour en comprendre les besoins, les attentes, le ressenti vis-à-vis de l’entreprise ou du projet, et les associer à certains aspects du projet. Là encore, on peut hiérarchiser les priorités en fonction de l’importance des interactions entre telle partie prenante et l’entreprise (ou son activité).
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La validation des informations et des affirmations : expliciter les sources des données et les méthodes que l’on utilise pour estimer ou mesurer un impact, fournir des preuves des actions menées (par exemple en termes d’engagement des parties prenantes) ; s’appuyer autant que possible sur des mesures standards, des méthodes reconnues, et des validations externes.
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L’équilibre : être transparent sur les risques, les opportunités, les succès et les échecs.
2.2. Le “business model” et les 6 catégories de capitaux
Le “business model” est un concept central à la fois pour les startups et l’innovation contemporaine et dans le “reporting intégré” de l’IIRC.
- Classiquement, il désigne “la représentation systémique de l'origine de la valeur ajoutée d'une entreprise et de son partage entre les différentes parties prenantes” et représente donc “la manière dont une entreprise entend fonder et garantir sa rentabilité” à mesure qu’elle grandit (Wikipedia). Se représentation la plus répandue, très utilisée par les startup, est le “business model canvas”.
- L’IIRC le décrit comme “le processus qui convertit les différents capitaux en réalisations (produits et services, dérivés et déchets) ayant à leur tour un impact sur les capitaux.”
Il paraît relativement aisé d’associer les deux descriptions du modèle d’affaires. Le business model canvas décrit “l’intérieur de la boîte”, dans un processus principalement centré sur la valeur économique (capitaux financier, manufacturier et pour partie, intellectuel). Le modèle de l’IIRC l’englobe et en étend la description aux autres capitaux, humain, social et environnemental.
Ainsi une startup peut-elle utiliser le langage très répandu du canvas tout en l’étendant pour décrire ses impacts.
Le “Business Model Canvas” (source : Strategyzer)
Le processus de création de valeur selon l’IIRC
2.3. Evaluer les impacts environnementaux
La mesure des impacts environnementaux est classiquement complexe et les standards du GRI comme de l’IIRC ne fournissent pas de baguette magique. Sur les impacts de premier ordre (hors effets rebond et autres interactions complexes), on peut cependant s’appuyer sur les 8 “standards” du GRI spécifiques aux sujets environnementaux : Matériaux, Energie, Eau, Biodiversité, Emissions, Effluents et déchets, Conformité aux règles environnementales, Evaluation des fournisseurs.
3. Quels usages pour les Innovateurs Facteur 4 et leurs financeurs ?
Pour démontrer à la fois la pertinence de leur modèle d’affaires et la crédibilité de leurs affirmations en terme d’impact, les Innovateurs Facteur 4 peuvent ainsi :
- Exprimer leur modèle d’affaires en “encapsulant” le business model canvas dans le modèle de l’IIRC qui décrit la manière dont le processus de création de valeur transforme les 6 catégories de capitaux (financier, manufacturier, intellectuel, humain, social et sociétal, environnemental).
- En matière d’impact environnemental, identifier et prioriser :
- Les principales “matérialités” liées à l’activité, ainsi que les actions pour (1) les quantifier, (2) les gérer et (3) évaluer la performance. Dans notre cas, les “matérialités” sont les principales externalités, ainsi que les risques et opportunités associés. Elles n’ont pas besoin d’être nombreuses.
- Les principales “parties prenantes” de l’activité, ainsi que les actions pour (1) les identifier et les prioriser, (2) engager un dialogue et (3) recueillir leurs attentes et ressentis sur les “matérialités” ci-dessus.
3. Exprimer leur stratégie et leur management en connectant performance économique et environnementale via les principales “matérialité” identifiées, et démontrer ce lien en décrivant et étayant :
- La gouvernance et le reporting des impacts,
- L’intégration des impacts dans la stratégie et le business model,
- Les objectifs quantitatifs en terme d’impact, la politique pour en mesurer l’atteinte et les preuves de la validité des mesures,
- L’approche managériale pour gérer les impacts tout au long de la chaîne de valeur,
- Les partenariats et les collaborations structurants de ce point de vue.
[ii] Expression proposée par Henri Verdier et Nicolas Colin dans L'Âge de la multitude (Armand Colin, 2012) pour désigner ceux qui créent de la valeur en s’appuyant sur les services d’une grande plateforme - par exemple les créateurs d’apps sur Itunes.
[iii] Allusion au rôle économique et écologique des abeilles : la valeur produite par leur activité de pollinisation est plusieurs milliers de fois supérieure à celle des produits apicoles - mais sa mesure est à la fois difficile et peu utile, puisqu’il n’existe guère d’alternative !