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Défi 2 : Orienter l'innovation vers la recherche d'impacts majeurs

Produit éditorial
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Daniel Kaplan

Par Daniel Kaplan

  • innovation ; agenda pour le futur ; innovation facteur 4 ; impact social ; impact écologique ; impact investment

Comment mesurer véritablement l'impact écologique et social des projets ? Notre référentiel Innovation Facteur 4 est l'une des pistes

Défi 2 : Orienter l'innovation vers la recherche d'impacts majeurs

Lancée début 2017, la démarche collective "Agenda pour le Futur" de Transitions² rassemble les actions à engager et les messages communs à adresser pour mettre le numérique au service de la transition écologique. Ces actions sont rassemblées en une vingtaine de défis. Découvrez les tous ici.

 

En synthèse

 
  • Les systèmes d’innovation doivent devenir capables de faire émerger et grandir des projets qui accordent autant d’importance à l’impact écologique et social, qu’à la création de valeur économique. Malgré les bonnes intentions, ce n’est pas le cas aujourd’hui.

  • Pour y parvenir, il faut :  se doter d’un référentiel d’analyse des projets “à impact” ; créer des dispositifs de soutien spécifiques ; engager une “revue écologique” de l’ensemble des politiques de soutien à l’innovation ; et à terme, faire évoluer les règles comptables des entreprises pour tenir compte de l’impact de leur activité sur les capitaux financiers, naturels et humains.

  • La communauté Transitions² a produit un premier référentiel de “l’Innovation Facteur 4” qu’elle mettra en test dès en 2018 et au-delà. Sous la forme de “Défis Innovation durable”, elle sollicitera des innovations autour, soit de pratiques à impact positif, soit de problèmes écologiques que les acteurs existants ne sont pas en mesure de résoudre.

 

1- Opportunités et tensions : à quels enjeux numérique et écologie doivent répondre ensemble ?

 

Le défi : faire évoluer les systèmes d’innovation pour donner autant d’importance à l’impact écologique et social, qu’à la création de valeur économique.

L’innovation est-elle l’un des chemins vers la transition écologique, ou bien ne relève-t-elle que d’une fuite en avant vers le “toujours plus” ? La réponse dépend en réalité du “système d’innovation” que nous choisirons.

Il semble évident que des innovations majeures dans des domaines tels que l’énergie, les méthodes agricoles, l’économie circulaire ou la mobilité, sont essentielles pour rendre possible la transition écologique sans drame d’une planète de 9 milliards d’habitants.

Mais force est de constater que plusieurs décennies d’innovations “vertes”, ne sont pas parvenues ne serait-ce qu’à infléchir la trajectoire mondiale d’augmentation des émissions de CO2. Tandis que l’innovation numérique, qui se présente volontiers comme intrinsèquement vertueuse (dématérialisation, efficience…), contribue clairement à l’accélération continue des cycles économiques et de l’obsolescence des produits, sans même parler de ses effets directs en matière de consommation de ressources et d’énergie, ou de déchets.

L’innovation ne jouera un rôle écologique positif que si le système d’innovation - l’ensemble des méthodes, des institutions et des dispositifs financiers qui rend possible, légitime, évalue et sélectionne des propositions innovantes - évolue pour donner autant d’importance à l’impact des projets (écologique et social, positif et négatif) qu’à la création de valeur économique.

Ce sujet concerne donc en premier lieu :

  • Les innovateurs eux-mêmes : nouvelles entreprises, innovateurs sociaux, entreprises et institutions existantes ;

  • Les acteurs du soutien à l’innovation : investisseurs, banquiers, financeurs publics, pôles de compétitivité et clusters, incubateurs, consultants…

 

Lignes de tension : qu’est-ce qui pose problème aujourd’hui ?

 

Les stratégies d’innovation, et ceux qui les soutiennent, sont exclusivement orientées vers la création de valeur économique. On note certes une prise de conscience de la nécessité de limiter les impacts négatifs. En revanche, la production d’impacts sociaux (parmi lesquels la création d’emplois) et écologiques positifs reste du domaine des “externalités”, mal mesurées et totalement subordonnées à l’objectif économique.

La maximisation de la valeur économique peut entrer en conflit avec celle de l’impact. A titre d’exemple, certaines innovations techniques à fort impact écologique pourraient se diffuser très rapidement si leurs créateurs faisaient le choix de les rendre open source, alors que les stratégies de valorisation de l’innovation privilégient massivement la protection de la propriété intellectuelle.

Les “impacts” écologiques positifs de projets innovants sont rarement analysés de manière solide. Il est plus facile d’évaluer des impacts négatifs que des impacts positifs ; il est également plus facile d’évaluer des impacts directs (par exemple, un gain en efficience énergétique) que des impacts indirects ou complexes (par exemple, l’effet du covoiturage sur les émissions de CO2). Dans le cas de projets innovants, on peut manquer de points de référence, sans compter que les innovateurs n’ont ni le temps ni les ressources de mobiliser des méthodes complexes pour évaluer leurs impacts. Résultat : soit l’on se focalise sur les innovations les plus aisées à mesurer (notamment des innovations techniques qui s’inscrivent dans des circuits ou des pratiques existantes), soit se satisfait des bonnes intentions des innovateurs, sans s’interroger sur la vraisemblance du “modèle d’impact”.

Ce qui précède explique largement pourquoi, malgré de réels succès, l’innovation “verte” semble aujourd’hui impuissante à inverser la tendance en termes d’écologie. Elle se focalise plutôt sur des effets directs simples (l'efficience des ressources, les “changements de comportement”) que sur des transformations qui bouleversent l'ordre établi. Elle tire assez peu parti des dynamiques transformatrices issues de l’innovation numérique (plateformes et écosystèmes, collaboration, agilité…). Elle reste fortement centrée sur la technologie, plutôt que sur l’innovation de service ou de modèles d’affaires.

 

Ce qui se propose aujourd’hui pour engager l’innovation vers la recherche d’impacts majeurs

 

  • L’“investissement à impact” (impact investment), une approche de l’investissement qui a comme premier objectif une réponse à un besoin social ou environnemental et recherche un retour financier modéré. Cette catégorie en développement est cependant extrêmement diverse et, sur les questions environnementales, ses acteurs disposent rarement d’outils solides pour analyser à la fois le caractère innovant d’un projet et la solidité de son “modèle d’impact”.

  • Des plateformes collectives, encore émergentes, destinées à rassembler, soutenir et mettre en valeur “le meilleur de l’innovation verte” : Shamengo (dont c’est le slogan), If You Want To (IYWTo), WAG (We Act for Good) du WWF, le réseau d’incubateurs de la Green Tech Verte

  • La “comptabilité intégrée”, qui cherche à mesurer en même temps la performance financière, environnementale et sociale des entreprises. Ces dispositifs demeurent cependant optionnels dans la plupart des pays (dont la France) et, du fait de leur complexité, réservés aux grandes entreprises.

  • Un certain nombre de méthodes et d’indicateurs pour analyser les impacts écologiques ou le “bilan carbone” d’une activité, ou encore le degré d’orientation d’une entreprise vers la production d’impacts sociaux et environnementaux positifs (ex. certification B Corp). Celles-ci ne se focalisent cependant généralement pas sur l’innovation. Il en va de même des “contrats à impact social”, par lesquels un acteur social, pourra faire financer un projet à impact par un investisseur privé, qui sera lui-même remboursé par la puissance publique uniquement en cas de succès - celui-ci étant mesuré par des indicateurs d’impact fixés à l’avance.


 

2- L’Agenda de Transitions² pour un numérique “Ecologique by Design”

 

Un nombre croissant de méthodes et d’initiatives visent à mieux comprendre, présenter et comparer les impacts écologiques projetés et produits par les activités économiques :

  • Les analyses de cycle de vie (ACV) et “bilans carbone”, par exemple, fournissent un cadre méthodologique complet, quoique relativement complexe à mobiliser.

  • Plusieurs initiatives internationales, en particulier IRIS et les standards de la Global Reporting Initiative (GRI) ont formalisé des jeux d’indicateurs qui, s’ils ne considèrent pas l’activité d’une manière aussi globale que l’ACV, présentent le double avantage d’être plus aisément mesurables et comparables, et d’être utilisés par un nombre croissant d’acteurs de l’investissement à impact. Fondé sur le catalogue d’IRIS, le Global Impact Investing Rating System (GIIRS) est par exemple une liste d’indicateurs qui fonde le B Impact Assessment, l’outil d’évaluation utilisé attribuer le label B Corp aux entreprises et aux fonds d’investissement qui le désirent.

  • Plutôt adapté (du moins pour l’instant) aux grandes organisations, le “reporting intégré” se propose de rendre compte simultanément de la performance financière et extra-financière d’une entreprise. Il considère la performance de l’entreprise et ses impacts en prenant en compte ses effets sur plusieurs « catégories de capital » : financier, manufacturier, intellectuel, humain, social et sociétal, et environnemental.

  • Issue des acteurs anglo-saxons de l’innovation sociale, et beaucoup mieux adaptée à des projets émergents et de petite taille, la “Théorie du changement” (Theory of change) permet à l’innovateur de décrire de manière structurée le lien entre les impacts qu’il entend produire et ses activités concrètes, ainsi que les conditions qui doivent être réunies pour que le projet réussisse sur le double plan économique et écologique.

Il existe donc de nombreuses méthodes pour prendre en compte à la fois, et avec autant de sérieux, la performance économique la performance écologique (et sociale) d’une entreprise ou d’un projet. Sur cette base :

  • Il devient possible de fonder le dialogue entre les porteurs d’un projet innovant et ses partenaires (investisseurs, incubateurs, financeurs publics, partenaires industriels et commerciaux, “parties prenantes”) sur des éléments communs à la fois solides, vérifiables, comparables et adaptés à la nature et au niveau de maturité du projet ;

  • Il devient nécessaire d’exiger de programmes et projets d’innovation qui affichent des objectifs en termes d’impact écologiques, qu’ils se mettent en position de fonder plus solidement leurs affirmations et de les évaluer en cours de route ;

  • Il devient pertinent d’engager des actions collectives (portées par des acteurs publics ou des groupes d’entreprises) centrées sur la recherche d’impacts dans tel ou tel domaine, plutôt que sur une typologie sectorielle des projets (ex. green tech, énergies vertes, etc.)

 

Ils travaillent déjà à relever ce défi au sein de la communauté Transitions²

 

  • Le défi “Innovation Facteur 4” porté par la Fing, l’Iddri et OuiShare, qui a aboutit à la publication d’un référentiel en 2017 pour mieux comprendre et analyser les projets innovants qui placent au coeur de ses objectifs la production d’un impact écologique positif, profond et durable.

  • Les 5 propositions pour “Soutenir l’innovation en faveur de l’écologie” en page 23 du Livre Blanc “Numérique et environnement”, portées notamment par La Fing et l’Iddri.

  • Le Think Tank Without Model sur les modèles ouverts, à l’initiative de l’ouvrage “Open Models for Sustainability” et de travaux sur les “Social Business Models”.

  • Les communautés d’entrepreneurs Shamengo qui promeuvent “une nouvelle génération d’entrepreneurs”, Open Lande, “Fabrique de projets évolutionnaires” ou l’Hermitage, “un lieu pour y expérimenter des solutions en réponse aux grands défis de notre siècle”.

  • L’Expédition Audacities de l’Iddri et la Fing, qui interroge le sens et la gouvernance de l’innovation dans la “ville numérique réelle”.

  • La plateforme If You Want To qui recense les services “verts”  de proximité (santé, qualité de l’air, habitat, eau,...).

  • Le réseau d’incubateurs de la GreenTech verte, ouvert aux “start-up dont les projets innovants concourent à la transition écologique” et assure un important travail d’animation (concours, hackathons, …).

  • Les porteurs de projet d’innovations de type “Facteur 4”, dont beaucoup sont recensés (certains sous forme de récits) dans le Référentiel Innovation Facteur 4.

  • Le projet POC21 produit par OuiShare (Paris) et OpenState (Berlin)

  • Good Tech Lab, qui se définit comme une “Research Venture qui explore les frontières de l’impact”.

  • Les travaux sur la comptabilité en Triple Capital, menés notamment par Hélène Le Teno.

  • Les dispositifs de soutien (crowdfunding, levée de fond, accompagnement…) dans les champs sociaux et environnementaux qui se sont manifestés dans Transitions² : WeDoGood, Energies partagées, réseau CleanTech Business Angels, MakeSense.

 

Des actions collectives à engager ou poursuivre proposées par la communauté Transitions²

 

1.  Créer et diffuser un “langage” commun, un référentiel pour décrire et évaluer les innovations à impact social et écologique. Ce référentiel vise à décrire simultanément le “modèle d’affaires” et le “modèle d’impact” d’un projet innovant, ainsi que l’alignement ou le conflit potentiel entre des facteurs de maximisation de la rentabilité d’une part, et de l’impact d’autre part. Son existence permettra aux innovateurs “d’encoder” profondément l’objectif écologique dans l’activité et la gouvernance de leur organisation, et aux investisseurs “à impact”, privés et publics, de prendre des décisions fondées sur des éléments objectifs. Le projet “Innovation Facteur 4” a produit en septembre 2017 une première version d’un tel référentiel.

 

2.  Sanctuariser, dans les politiques de soutien à l’innovation, des financements dédiés aux projets innovants dont la "proposition de valeur" intègre un impact écologique profond ("facteur 4", "zéro émissions/déchets etc.", "énergie positive" etc.), large (passage à l'échelle) et de long terme (robuste aux "effets rebond").

Les critères de choix pour ces financements doivent permettre de reconnaître des innovations à faible contenu technologique (innovations de service, de processus, de modèle d’affaires…) et même explicitement “low tech” (agrobiologie…). En se fixant des objectifs de création de valeur collective, ils doivent être capables de soutenir des projets qui arbitreraient en faveur de la maximisation de l’impact plutôt que de celle du profit. Une part du soutien à l’innovation “verte” devrait entre autres se réorienter dans ce sens.

 

3.  Engager une “revue écologique” de l’ensemble des politiques de soutien à l’innovation. Il ne peut pas y avoir une innovation “verte” à côté d’une autre, ultra-dominante, qui ne se préoccuperait que de croissance. Ainsi, des grands programmes d’innovation tels que “l’Usine du futur” ou la “Smart city” pourraient sans doute produire des effets écologiques positifs, mais il a été démontré qu’en l’état, la préoccupation écologique n’y intervient jamais comme une réelle priorité.

 

4. A moyen terme, faire évoluer les indicateurs de richesse, en commençant par la comptabilité des entreprises. On n’accomplit durablement que ce qu’on mesure. On ne transformera donc l’activité des entreprises dans un sens écologique que si la mesure de leur activité intègre en permanence sa performance économique, environnementale et sociale – si elle internalise ce que l’on nomme aujourd’hui les “externalités” de l’activité économique. Plusieurs méthodes de “reporting intégré” existent aujourd’hui, dont certaines ont acquis un caractère officiel dans plusieurs pays. Ces méthodes ont en commun de mesurer l’impact positif ou négatif de l’activité d’une entreprise sur plusieurs formes de “capital”, notamment financier, humain et naturel. La France devrait rapidement s’inspirer de ces méthodes.

 

La communauté Transitions² pourrait ainsi engager 3 actions pour transformer les systèmes d’innovation :

 

 

1. Tester et améliorer le référentiel “Innovation Facteur 4”. Issu d’un an de travail qui ont mobilisé plusieurs dizaines d’experts, de professionnels et d’organisations, ce référentiel doit désormais être mis à l’épreuve du terrain, dans le dialogue entre des porteurs de projets innovants “à impact”, des financeurs privés et publics, des incubateurs, des territoires disposés à soutenir des expérimentations, des partenaires industriels et commerciaux… Au terme de cette période de test, le référentiel sera public dans une version améliorée, disponible en open source, et complété de matériaux pédagogiques, fiches pratiques, etc.

 

2. Développer des “Défis innovation durable”.