Le festival écologique by design

Imaginary
  • fr
  • Download as PDF

[Scénario] En 2030, ce festival de théâtre fait école. Son credo : “Plus j’accueille de monde, plus mon empreinte se réduit”.

Le festival écologique by design

Le 15 octobre 2015 à l'Ecole supérieure d'arts d'Aix-En-Provence, dans le cadre de l'exercice de prospective annuel « Questions Numériques » de la Fing, 50 innovateurs, chercheurs, acteurs publics, designers, entrepreneurs, acteurs publics… ont imaginé des scénarios de rupture autour du thème « Vers un numérique écologique by design ».

Premier scénario tiré de l'atelier : "Le festival de théâtre écologique by design : plus il y a de festivaliers, plus l’empreinte est réduite, plus on se rapproche du facteur 4"

 

 

I.    LE RECIT

 

En résumé

Un grand festival de théâtre qui attire de plus en plus de publics venant de plus en plus loin, décide d’être pionnier, en associant une stratégie de réduction massive de son empreinte écologique et de redistribution de la valeur. Pour cela, et en s’appuyant principalement sur les citoyens et les acteurs publics, il va chercher à organiser le partage et la mutualisation d’un grand nombre d’activités et ressources : espaces, transports, données et information, temps et compétences.
Son credo : “Plus j’accueille de monde, plus mon empreinte se réduit”.

En 2030, ce festival fait école. Il a réduit massivement son empreinte énergétique (sa conso énergétique), ses déchets, les émissions de gaz à effet de serre.
Les spectateurs deviennent acteurs du festival : ils sont mis à contribution pour produire de l’énergie, réduire les déchets…  plus il y a de festivaliers, plus l’empreinte est réduite, plus on se rapproche du facteur 4.

 

Acte 1 : le train de l’ “économie collaborative” : de l’enthousiasme à la désillusion

 

En avril 2016, le festival est nommément montré du doigt comme symbole du rapport de Greenpeace qui vient de paraître : l’empreinte écologique des grands festivals va croissante et annihile sur un temps court les efforts entrepris par ailleurs. Junk food, travail précaire, émission de GES pour cause d’afflux de gens, pollution des sols, … le coup est rude pour les acteurs de la culture, jusque là plutôt épargnés et devant par ailleurs déjà faire face à de nombreuses coupes budgétaires.


Pourtant, les organisateurs et les acteurs publics qui soutiennent la manifestation pointaient non sans fierté le succès des pratiques de partage de plate-formes comme AirBnB ou BlaBlaCar pendant la période de festival - même s’ils devaient souvent composer avec des hôteliers mécontents. Outre la promesse écologique, ces pratiques semblaient dans la lignée de la culture du partage et de la location temporaire ancrée dans la tradition du festival : on bricole, on répare grâce à une connaissance, on prête un bout de jardin - parfois pour quelques euros…

Dans un premier temps, les acteurs publics - tout en conservant une part de méfiance - y voient une opportunité de renforcer l’accessibilité du festival, d’en élargir le public, de toucher de nouvelles audiences, plus internationales, plus jeunes, alors que les hôtels et les moyens de transport sont généralement saturés des mois à l’avance à cette époque. Ils y voient éventuellement un levier pour un festival plus durable, notamment du côté du transport mutualisé.

Mais il faut bientôt se rendre à l’évidence : après une phase d’enthousiasme, on se rend vite compte que les enjeux ne sont pas les mêmes. Si ces nouveaux acteurs facilitent les échanges et la circulation des biens et services, ils monétisent surtout tous les flux possibles.

 

Acte 2 : Abus et prise de conscience


Tout se loue, se partage, s’achète… entre particuliers. Des plateformes permettant de louer son appartement pour n’importe quoi (accueillir des pièces de théâtre et des performances, des “after”, etc.) sont le théâtre (sans jeu de mots) d’abus. L’affaire de l’ “Appart-bar” (bar éphémère crée de toute pièce pendant un mois, sans restriction d’horaires) qui a conduit à la perte drastique de revenus d’un bar “ancestral” de la ville et à sa fermeture, a été la goutte qui a fait déborder le vase. Ces grandes plateformes seules ne peuvent être la réponse à la situation économique et écologique du festival.
Que faire alors ?

Plutôt que de rentrer dans une guerre juridique, les organisateurs et représentants du festival décident plutôt de profiter de cette “attaque” venue de l’extérieur pour changer drastiquement de modèle et se lancer un challenge : devenir en quelques années la figure de proue des festivals “green”. Son arme : organiser le partage et la mutualisation “ de tout”, et à tous les niveaux. Quitte à utiliser les mêmes armes que l’adversaire.


Ainsi dès 2018, la ville qui accueille le festival lance sa propre plateforme, mettant en avant l’argument de “geste pour la culture” - la commission perçue au passage étant ré-investie dans la création artistique locale, ce qui séduit les festivaliers.
Du coup, la ville est en position plus confortable pour ouvrir la discussion avec Airbnb et aboutit bientôt à un accord sur un système de « Fair Exchange » dans lequel Airbnb accepte de participer à l’effort de guerre, notamment en redistribuant une partie de la taxe aux festivals.
Fort de ce premier succès basé sur du partenariat, le festival décide d’aller plus loin.

Acte 3 : De nouveaux modes de redistribution de la valeur, au service d’un impact écologique positif


Pour réduire son empreinte écologique tout en continuant à grandir et accueillir plus de spectacles et plus de monde, le festival mise sur deux principes :

  •  Des partenariats sur tout et avec le plus d’acteurs possibles pour favoriser le partage

  •  S’appuyer sur la contribution individuelle des individus pour produire de l’énergie, mais aussi, réduire les transports, favoriser les cycles-courts et la relocalistaion de certaines activités.

Concrètement, voici quelques unes des dynamiques qui sont enclenchées sur le territoire :

> Une mobilité plus agile et plus douce :

2021 : la ville décide d’interdire la voiture en centre-ville durant le festival, en gérant autrement le dernier km :

  •     En opérant des “hubs de mobilité” :

    • mise à disposition des parkings relais en périphérie de la ville qui font office de “hubs” de modes doux : flotte en vélopartage, “trottinetto-partage” avec GPS intégré,  transports en communs (navettes, etc.). L’accès au centre-ville demeure toujours autorisé pour les riverains.

    • Une plateforme gérée par le festival permet de pré-réserver des vélos équipés de batteries - qui sont aussi leur ticket d’entrée

  •   En incitant au partage : certains agriculteurs décident de louer / mettre à disposition leurs terrains pour le temps du festival - contre rémunération

2023 : elle s’attaque à la mobilité plus longue distance :

  •     en obtenant plus de TER, en partenariat avec la SNCF, pendant la période du festival

  •     en incitant financièrement ceux qui pratiqueraient le covoiturage pour venir au festival et en leur permettant de circuler en centre-ville au même titre que les riverains. Un partenariat est noué avec Blablacar et d’autres plateforme, qui en échange de la pub du festival (« Venez avec Blablacar ! ») reversent une contribution au festival pour la gestion immédiate des frais de parking, etc.

  •     en créant un système « Ramène / adopte un artiste ! » mis en place dans la continuité de ces partenariats.

  •     en expérimentant de l’expérience autour de la participation à distance, en cherchant à recréer (au niveau sonore, visuel, sensoriel) l’expérience de la pièce jouée.

> Mutualisation de ressources

  •  En mettant à contribution les spectateurs pour la décoration et les équipements (« Amène un décor ! ») : plateforme qui permet aux compagnies d’annoncer ce dont elles ont besoin en matière de décor, d’objets, équipements… les spectateurs sont incités à apporter ce qu’ils peuvent mettre à disposition.

  •  Pour lutter contre l’affichage sauvage, la multiplication des écrans urbains et les flyers partout, les habitants sont incités à partager leurs surfaces de murs extérieurs et de multiplier ainsi l’espace d’affichage par 50


> Des circuits d’énergie courts :


2025 : appuyés sur la diversité des flux et la dynamique de partage :

  • En soutenant l’innovation dans la production et la distribution décentralisée d’énergie : un système de dynamo / batterie puissante est mise à disposition des conducteurs qui laissent leur voiture pour prendre des vélos – leur trajet alimente la batterie, qui permettra d’alimenter des LEDs, du chauffage, sur les lieux du festival. etc…. C’est aussi leur badge d’entrée.

  • Des incitations à réduire l’usage des projecteurs, et à récupérer l’énergie produite (par exemple par les projecteurs ou la climatisation) qui peut être récupérée pour faire autre chose.

  • En 2030, le festival incite fortement les spectateurs à utiliser des textiles refroidissants, qui permettent de couper la climatisation.

> Vers le zero-waste et le recyclage de plus de choses


En s’appuyant aux maximum sur les flux des gens et leur contribution légère :

  •   Rendre tangible la pollution : le festival décide de mettre en lumière ses émissions, pour amener les gens à prendre conscience de ce dont ils sont en partie responsables en termes d’émissions (à l’image du Nuage Vert d’Helsincki)

  •  Privilégier la mise à disposition de gourdes, et autres contenants réutilisables.

  • Engager des démarches d’open data sur les données de traçabilité des produits, visant à vérifier que les produits sont bien produits localement, issus de circuits courts, etc. En complément, les festivaliers sont incités spectateurs sont incités à alimenter des bases de données ouvertes autour de l’alimentation comme Open Food Fact (localement ou pas).

  • Réutilisation des décors : au lieu d’organiser elle-même le recyclage et la ré-utilisation des décors éphémères du festival, l’acteur public préfère soutenir des projets visant à mettre en relation des acteurs qui n’ont plus besoin d’éléments de décor et ceux qui en ont besoin.

 

    II.    LES POINTS CLEF DU SCENARIO ?

 

Quels effets rebonds ?

 

  •  La dynamique de partage fonctionne : il attire davantage, des spectateurs qui viennent de plus loin. Le festival rayonne… mais son empreinte carbone est loin de diminuer et se déporte simplement ailleurs : pourtant fiers d’avoir contribué à diminuer l’empreinte du festival pris dans la dynamique collective, les spectateurs redépensent cette économie lors de leur séjour plus “individuel” dans le département

  • Les capteurs nécessaires à la gestion “intelligente” des réseaux d’échanges d’énergie, la multiplication de données qui augmentent le nombre de serveurs nécessaires, …. nécessitent davantage de ressources non renouvelables et l’installation de nouveaux serveurs, qui consomment de l’énergie et des métaux rares

  • De nouveaux lieux partagés (comme les champs et les hangars en zone péri-urbaine) contribuent à augmenter les surfaces de pollution des sols et réduisent les zones dédiées à l’agriculture de proximité.

Quels systèmes sont bouleversés ?

 

  • Le système de mobilité :

    • Des centrales de mobilité modulaires, qui se re-déploient en fonction des temporalités (sur la base d’un suivi des flux et des données associées) : pour faire le dernier km durant le festival, en centre-ville le reste de l’année…

    •  Une utilisation accrue des données du côté de la SNCF pour augmenter / adapter les fréquence des TGV/TER sur cette période

  •  Le système de production et distribution d’énergie : basé sur des échanges plus locaux, et multi-sources

  •  Les système de gestion des espaces urbains : les plans de logement, d’espaces publics, les hubs urbains, … deviennent de plus en plus conçus pour le partage, qui est désormais inscrit dans les PLU et autres documents de planification urbaine.

    III.    Ce qu’on apprend


Les controverses

 

  •  Dans un premier temps, l’acteur public territorial est critiqué pour sa tendance à se retirer : il s’affirme davantage comme partenaire et incitateur qu’acteur, laissant planer le spectre d’une Big Society à l’anglaise.

  •  Le festival lui-même devient intrusif et normatif : facilitateur de mobilités douces et de comportements vertueux ou prescripteur ?

  •   Peut-on grandir sans s’étendre ? (empreinte indirecte - par ex. liée aux déplacements internationaux)

  •   Un territoire qui n’est plus pour les habitants mais pour les festivaliers : servicialisation de tout, territoire à la carte…

Quelle place du numérique ?

 

  •  Agile/soft : une grande couche logicielle est nécessaire pour gérer la multitude données, adapter / réadapter les offres (transports, etc. ), dématérialiser des processus...

  • Smart : il est mis au service des grands systèmes urbains (transports, énergie, espace…)

  • Distribué : utilisation de nombreuses plateformes de mise en relation entre des individus, des collectifs (en somme des gens, des besoins et des capacités…)

  • Permet le partage des informations, de la connaissance,...