Comment saisir l'opportunité pour que convergent transition numérique et transition écologique, et pour que la révolution des données puisse appuyer les politiques environnementales ?
par Mathieu Saujot et Timothée Erard
Le mouvement d’ouverture des données publiques, dit « open data », renvoie aux fondamentaux de la démocratie : transparence, participation du plus grand nombre aux politiques publiques, principe de redevabilité des dirigeants envers les citoyens – fondamentaux qui se trouvent également être ceux du développement durable (voir par exemple le principe 10 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 ou la convention Aarhus de 1998). Dans les premières expériences d’ouverture des données, on trouve d’ailleurs des considérations environnementales. Pourtant, développement durable et open data ne se sont guère parlés depuis, s’engageant souvent sur des chemins parallèles. N’y a-t-il pas là une opportunité à saisir pour que convergent transition numérique et transition écologique, et pour que la révolution des données puisse appuyer les politiques environnementales ? Cet article, issu de travaux sur la ville intelligente et faisant suite à un séminaire organisé par l’IDDRI avec la participation de la FING et d’Etalab[1], se propose d’apporter quelques éléments à cette réflexion.
Actualité et contexte de l’open data
L’Open Data a incontestablement le vent en poupe : actuellement, il est de tous les débats parlementaires, que celui-ci porte sur la santé, la transition énergétique, le numérique ou encore la décentralisation. Ces mesures d'ouverture des données recueillent un consensus large et non partisan. Sur le papier ou au micro de l'assemblée, les promesses de l'ouverture des données ne peuvent que séduire : elles permettraient des politiques publiques plus modernes, des administrations plus efficaces, des collectivités plus transparentes. Ces discours consensuels suscitent donc bien évidemment l'approbation de la grande majorité des acteurs : les décideurs publics peuvent à minima s’en servir à des fins de communication, les acteurs privés ne peuvent que se réjouir d’un réservoir de données accessibles gratuitement, tandis que les acteurs associatifs louent un outil permettant de diminuer l'asymétrie d'information entre gouvernants et gouvernés. L’actualité liée à l’open data en ce début d’année 2016 est d’ailleurs riche : adoption par l’assemblée de la loi numérique incluant des éléments sur l’ouverture des données, premier rapport de l’administrateur général des données H. Verdier faisant le point sur les enjeux de transformation de l’action publique par les données, rédaction du décret concernant la transmission des données énergétiques aux collectivités locales afin qu’elles puissent mener leurs politiques publiques, notamment en terme de planification énergie-climat.
Ajoutons que le mouvement open data jouit aujourd’hui en France d’une certaine maturité, depuis les premières expériences des collectivités locales en la matière. Après l'euphorie de la première mi-temps sur les potentiels de cette ouverture (utilisation citoyenne, dynamique économique) et les désillusions de la seconde en termes de résultats obtenus, les collectivités bénéficient maintenant de retours d’expériences et s’engagent ainsi dans la voie de l’open data mieux outillées et avec des stratégies plus précises. Elles sont notamment plus averties sur la facilité d'accès aux données et leurs potentielles retombées économiques (valeur monétaire des données et émergence de start-up locales). Certaines collectivités mettent ainsi en place des systèmes de mise à disposition des données plus flexibles, combinant protection des données sensibles et ouverture massive. Parallèlement le travail de la mission Etalab et de l’administrateur général des données, chargés au sein de l’Etat de la politique d’ouverture et du partage des données publiques, se structure de plus en plus. S'installe parallèlement l'idée que les données et leur utilisation peuvent renouveler la façon de mener des politiques publiques et d’interagir avec les citoyens et usagers des services publics. Il est donc d’autant plus légitime de poser aujourd’hui la question de la contribution de l’open data au développement durable.
Toutefois, le mouvement open data est encore loin d’être un outil au service d’un « empowerment » des citoyens, ayant un réel impact politique. Comme l’expliquent bien S.Goëta et C. Maby, les données ouvertes sont la plupart du temps « inoffensives », les producteurs publics de données n’ayant aucun intérêt à « tendre le bâton pour se faire battre » et la libération systématique des données étant loin d’être une norme acceptée et mise en œuvre. L’open data ne constitue donc pas encore réellement un levier d’action publique pour la société civile. C’est sur ce constat que doit s’appuyer la réflexion sur l’opérationnalisation de l’open data pour le développement durable.
Comment l’open data pourrait-il être utile au DD ?
Une précaution importante reste d’abord de mise, valable pour le développement durable comme pour d’autres aspects de notre société : tout problème politique ne peut être réduit à un problème d’information, que l’on résoudrait en apportant des données ou des connaissances, d’autres obstacles étant bien sûr présents (technico-économique, gouvernance, désaccord sur la vision...). S’il n’est donc pas un outil miracle, l’open data peut toutefois avoir un impact politique pour quatre raisons principales :
Disposer d’informations de qualité est un préalable à la participation et à la mobilisation citoyenne, éléments constitutifs du développement durable. Les questions environnementales sont traditionnellement portées par des acteurs associatifs qui poussent les pouvoirs publics à faire plus et mieux. La transparence[2] permise par l’open data en amont serait donc évidemment utile pour confronter - dans un cadre démocratique - les différentes visions à l’œuvre concernant les grands projets, objets aujourd’hui de profondes contestations. Par ailleurs destravaux identifient à quelles conditions l’open data peut s’insérer dans les débats locaux autour de sujets variés (débat OGM, projet de Tramway, Plan climat local).
Le développement durable est un projet collectif qui s’inscrit dans des politiques concrètes nécessitant l’appropriation, la compréhension, l’engagement des citoyens (performance d’un éco-quartier, évolution du système de gestion des déchets, évolution du système de mobilité, etc.) Ceci nécessite un dialogue renouvelé avec les pouvoirs publics, auquel l’open data peut participer. Partager la connaissance avec la société civile, c’est la considérer comme un allié précieux et un interlocuteur de premier plan. Dans la mouvance open data, on voit d’ailleurs apparaître le renouveau d’une expertise citoyenne basée sur des outils numériques (inventaire biodiversité), et les outils de crowdsourcing font du citoyen un producteur de données utile à la collectivité publique (FixMyStreet, plan vélo à Londres, budget participatif…). Se diffuse également via l'open data une culture de la donnée (data Literacy), qui peut générer de nouvelles façons de débattre, plus factuelles et plus productives.
L’expérience montre que le processus open data est un outil de changement en interne des collectivités locales. Contrairement à une idée souvent répandue, on ne libère pas les données, on les construit, pour les rendre utilisable et diffusable. Et ces processus de récupération, d’échange et de construction des données peuvent à la fois servir de révélateurs des problèmes de gouvernance et de coopération entre services, et créer du lien entre les différents services administratifs, grâce au travail concret de transversalité et d’échange qu’il implique. Ainsi l’open data peut constituer un outil intéressant pour dépasser les traitements en silo et les différences culturelles qui handicapent également la mise en œuvre du développement durable.
Certaines questions environnementale nécessitent, pour être traitées, de disposer de données précises, ouvertes et actualisées. Par exemple, pour au problème de la précarité énergétique, il faut identifier les ménages concernés et les crowdsourcing
Gardons à l’esprit que l'open data, initialement tourné vers la libération des données publiques, est une première composante de ce qui pourrait plus largement s'appeler demain un service public de la donnée, incluant toute une diversité de données utiles aux politiques publiques. Ce service reste à définir : des architectures ont été proposées par un certain nombre d'acteurs afin de régler la répartition de la valeur, les droits et usages des données selon les acteurs, sans oublier la protection de la vie privée dans le cas de données personnelles. Les concepts de « régie des données » et de « tiers de confiance », longtemps imprécis et peu opérationnels, prennent corps progressivement. Demain, mettre en place les politiques de développement durable ne devrait plus buter sur un manque de données disponibles et ouvertes. L'accès à ces données permettra également d'analyser plus précisément les enjeux, les réussites et les échecs de ces mêmes politiques.
Quelques opportunités et une condition pour favoriser cette convergence
Le législateur joue un rôle certain pour pousser les collectivités locales et les administrations à ouvrir leurs données ; il doit continuer à le faire, notamment pour les données les plus susceptibles de susciter des débats, celles que les acteurs publics seraient les plus réticents à communiquer. La communauté écologique doit également se saisir des opportunités d’ouverture de données utiles aux débats environnementaux. Plusieurs sont ouvertes par la loi numérique adoptée par l’Assemblée le 26 janvier : ouverture prioritaire de « données de référence » que les administrations devront diffuser en open data (de par leur qualité, leur utilité, leur popularité...) et qu’il reste à définir (article 9); ouverture « par défaut » des données publiques, « dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental » (article 4)[3]. Enfin la réflexion sur la définition et l’ouverture des données d’intérêt général, initialement prévue dans la loi Macron 2, pourrait également revenir dans le champ de la loi numérique lors des prochaines lectures ; cela pourrait inclure des données intéressantes pour l’environnement.
La transition écologique est affaire de transformation de long terme, pour laquelle il est central de poser des jalons intermédiaires, informés par des données. A chaque fois qu’une loi assigne à un acteur public ou privé un objectif de développement durable, un impératif d’open data devrait directement être mis en place. C’est d’ailleurs tout le sens de la mobilisation[4] autour des Objectifs du Développement Durable arrêtés par l’ONU en septembre 2015 : les indicateurs de suivi de ces objectifs doivent être le support de la mobilisation citoyenne.
Enfin, rien ne sera opérant sans un important travail d’outillage et de mutualisation des collectivités locales afin qu’elles puissent bénéficier d'une expertise solide et partenariale et ainsi profiter d’effets d’échelle dans les traitements et le partage des données (exemple des agences régionales énergie environnement dans le cas des données énergétiques).
[1] Daniel Kaplan et Simon Chignard, que nous remercions.
[2] Le collectif d’élus contre le projet d’aéroport Notre de Dame des Landes a par exemple dû saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) pour avoir accès aux études socio-économiques du projet. Voir http://aeroportnddl.fr/articles.php?lng=fr&pg=760
[4] Voir par exemple http://roadto2015.org/#whats-the-issue et http://openseventeen.org/
J'aime bien l'idée qu'on ne libère pas les données mais qu'on les construit pour les rendre utilisable et diffusable. Et je comprends à travers cette formule que cette construction doit également être collective... et partagée (référence au crowdsourcing).
En effet, le débat entre ouverture et protection n'est pas clos et entre les données stratégiques, sensibles et personnelles, l'espace "public" se restreint... Et il paraît difficile de garantir en même temps géolocalisation et anonymisation. Des stratégies territoriales qui ne permettent pas de s'appuyer sur des relations entre observation et localisation trouvent assez rapidement des limites...
Comme il est peu probable que le législateur impose l'ouverture de données individuelles, ou considérées comme telles, l'implication de chacun (la multitude) n'est pas un résultat, il devient une condition, en particulier pour les données sur la consommation d'énergie et les comportements associés. Cela peut sembler un frein ou un verrou mais les GAFA's y arrivent très bien.