VIDEO - Le référentiel "Innovation facteur 4" par Daniel Kaplan et Renaud Francou à la 2e open conférence "Agenda pour le Futur"
Lancé en juin 2016 dans le cadre du programme Transitions², le projet Innovation Facteur 4 explore une nouvelle forme d’innovation : une innovation dont la "proposition de valeur" intègre un impact écologique profond ("facteur 4", "zéro émissions/déchets etc.", "énergie positive" etc.), large (passage à l'échelle) et de long terme (robuste aux "effets rebond").
Il s’appuie sur deux constats :
Un nombre croissant de projets innovants se construisent autour d’une ambition écologique assumée, au point de placer l’impact écologique au même plan que la croissance et le profit dans leurs objectifs ;
Les investisseurs et les dispositifs d’appui à l’innovation savent analyser une innovation, mais sont beaucoup moins bien armés pour juger de son impact potentiel.
L’objectif du projet : proposer une nouvelle méthode d’analyse de projets innovants susceptibles de produire un impact écologique majeur, en décrivant à la fois leur viabilité économique et leur potentiel d’impact.
Innovation numérique et innovation verte
L’innovation numérique d’aujourd’hui se vit avant tout comme transformatrice. Elle utilise les ordinateurs et les données, moins comme des moyens d’optimiser ce qui existe, que comme des dispositifs d’exploration, d’expérimentation continue, de mise en relation, de coordination. Plus que la percée technologique, le « modèle d’affaires » – qui organise la relation rentable entre ce qu’offre l’entreprise, ses sources d’approvisionnement, ses partenaires, ses clients, ses formes de monétisation et son modèle de croissance – en constitue le cœur. L’innovation numérique, pour le meilleur et pour le pire, est d’abord une innovation de modèle d’affaires.
En revanche, pour la quasi-totalité de ses acteurs, cette innovation continue de fonctionner comme si notre monde n'était pas fini ; son impact écologique n'est pas sa préoccupation centrale, ni même, en général, un objectif secondaire.
De son côté, la « Green Tech » s’attaque explicitement à des défis de nature environnementale. Depuis deux décennies, elle a produit des résultats importants. Elle a ainsi amélioré le bilan énergétique de nombreux secteurs, rendu viables plusieurs sources d'énergie renouvelable, etc. Cependant, elle n’a pas pour autant infléchi de manière significative la courbe de croissance des émissions de CO2. Dans l’ensemble, elle se focalise plutôt sur l'efficience des ressources que sur des transformations qui bouleversent l'ordre établi ; ses effets "comportementaux" restent modestes ; elle dépend souvent de politiques publiques destinées à créer une demande – or ces politiques peuvent tarder à venir, manquer de constance ou d’homogénéité d’un pays à l’autre. Bref, vis-à-vis de l'enjeu écologique, l'innovation verte joue correctement l'un de ses rôles historiques (améliorer la productivité, résoudre des problèmes...) mais pas l'autre (explorer de nouveaux possibles, rebattre les cartes).
L’un des enjeux est d’inviter les acteurs de l’innovation « verte » à s’intéresser de plus près à la diversité des formes et des processus d’innovation et de transformation issues du numérique, et les acteurs de l’innovation dite numérique à mobiliser leurs savoir-faire vers les grands enjeux de notre époque.
Qu’est-ce que l’Innovation Facteur 4, et comment l’analyser ?
L’Innovation Facteur 4… … est d'abord une innovation : elle répond à un besoin ou résout un problème ; elle apporte quelque chose de neuf à ses destinataires ; elle différencie ceux qui la portent de leur concurrence ; … place au cœur de sa proposition des objectifs d’impact environnemental explicites et crédibles, très ambitieux (de type « Facteur 4 ») - et se donne les moyens de vérifier qu’ils seront atteints ; … vise un impact écologique est à la fois profond (il crée une vraie différence) et large (il peut passer à l’échelle d’une organisation entière, d’un secteur, d’un marché ou d’un territoire, voire de la planète) ; … s’intéresse à ses impacts sur d’autres secteurs et acteurs, ainsi qu’aux éventuels "effets rebond" susceptibles de limiter les bénéfices écologiques nets qu’ils entraînent. |
La principale caractéristique qui différencie l’Innovation Facteur 4 de l’innovation en général réside dans la volonté délibérée, suivie et organisée de produire un impact positif en matière environnementale. L’impact n’est pas un sous-produit de l’activité, mais une composante essentielle du projet : il est de nature radicale, il y a un avant et un après, non seulement pour l’innovateur, mais pour toutes les « parties prenantes ».
Pour estimer la « radicalité » de l’impact qu’un projet prétend produire, on peut l’analyser selon deux ensembles d’axes.
Le premier axe, bien connu des impact investors, relie profondeur et largeur :
La profondeur (depth) de l’impact décrit le degré de transformation qu’il opère par-rapport à une situation de référence (exemples : réduire de 90% la consommation d’eau au robinet, passer à une énergie 100% renouvelable…)
La largeur (scale) de l’impact décrit l’échelle à laquelle l’impact projeté se ferait sentir (exemple : une entreprise, un secteur, un territoire, le monde…)
Une fois cette première analyse faite, une deuxième série d’axes de lecture, secondaires, nous invite à regarder ces projets en fonction de deux autres critères :
Le degré de dépendance du projet vis à vis de son environnement de développement : le projet peut-il produire ses effets de manière autonome, ou dépend-il fortement de conditions externes (ex : déploiement préalable d’infrastructures, réglementation favorable, innovations complémentaires, plateformes…)
Sa robustesse : il s’agit ici de qualifier les effets négatifs ou indirects liés au projet : l’empreinte écologique du projet d’un côté, et les effets rebond directs, indirects et systémiques de l’autre
Les 3 étapes d’analyse du référentiel “Innovation Facteur 4”
Dès lors qu’il existe des innovateurs « orientés impact » et des investisseurs ou financeurs à impact social ou environnemental, il doit s’établir entre eux un langage commun, un moyen de démontrer la crédibilité puis la réalité de l’impact d’un projet.
Il existe des méthodes reconnues pour évaluer le caractère innovant d’un projet, la pertinence de son modèle économique et la solidité de l’équipe qui le porte. Mais comment évaluer sérieusement l’impact écologique potentiel et son caractère massif, radical, systémique, « Facteur 4 » ?
La méthode “Innovation Facteur 4” s’inspire de méthodologies existantes et établies, mais dans des champs différents : innovation entrepreneuriale « classique » (Bpifrance), innovation sociale (Theory of Change), mesure d’impact écologique (bilan carbone, etc.). Elle ne les réinvente pas, mais propose de les intégrer dans un parcours cohérent et accessible.
Cette méthode distingue trois étapes :
1. Décrire ou analyser le caractère innovant du projet ;
Le référentiel "Innovation Nouvelle Génération" de Bpifrance (qui présente en outre l’intérêt d’être public et réutilisable) fournit une bonne base pour répondre à cette première question. Il cherche à répondre à deux questions simples : Qu'est-ce le projet apporte de neuf à ses clients, utilisateurs et bénéficiaires ? En quoi le projet peut-il différencier l'entreprise de ce qui existe et/ou de sa concurrence ?
2. Décrire ou analyser en même temps la viabilité économique et le potentiel d’impact du projet ;
Il existe des méthodes pour relier la création de valeur pour l’organisation elle-même et la création de valeur « pour autrui », les fameuses « externalités » (ou impacts) qui sont au cœur de l’Innovation Facteur 4. Le référentiel propose de s’appuyer sur la « Théorie du changement » qui modélise les activités quotidiennes d’une organisation et les impacts qu’elle veut développer. On part de l’impact (à quel changement je m’attaque ? Ex : la réduction des émissions de CO2) pour aller vers l’activité proposée par l’organisation pour les réaliser (j’apporte des changements très concrets et mesurables et je relie cela à mes activités quotidiennes. Il s’agit ainsi relier cette analyse au « modèle d’affaires » de l’entreprise (via des outils de type Business model canvas).
C’est aussi l’étape où l’innovateur mesure son impact grâce à des méthodes établies, plus ou moins complexes (ACV, Carbon Impact Analytics, Standards GRI…).
3. Décrire ou analyser en même temps le chemin de croissance de l’entreprise (ou l’organisation, si ce n’est pas une entreprise) et de l’impact.
Enfin, la question du développement d’une entreprise ou d’un projet se pose d’une manière différente selon que l’impact environnemental (et/ou social) est, ou non, au cœur de sa raison d’être. la maximisation de l’impact peut entrer en tension avec celle de la croissance ou du rendement des capitaux.
L’innovateur devra donc effectuer des arbitrages, autour de 4 questions :
la diffusion des connaissances, méthodes, techniques : c’est l’échelle entre protection et partage
concurrence vs coopération
contrôle vs réseau (chaîne de valeur)
la croissance de l’activité (endogène vs duplication).
Enfin, si la gouvernance de l’entreprise et ses relations concrètes à ses "parties prenantes" (clients, fournisseurs, partenaires…) ne reflètent pas la priorité à l’impact, il est probable que les objectifs de profitabilité prendront rapidement le dessus. La question de la gouvernance du projet devient alors centrale. On pourra ici s’appuyer sur le modèle des Benefit Corporations (entreprises à « but collectif », ou B Corps) qui sont des entreprises à but lucratif, mais dont les objectifs statutaires incluent la production d’impacts bénéfiques pour la société, par exemple en matière sociale ou environnementale.
> En savoir plus : https://transitions2.net/catalogue/view/946/innovation-facteur-4
La version finale du référentiel sera publiée en septembre 2017 (en Creative Commons)
Les slides de la présentation de Daniel Kaplan