Transitions², un an après (4/6) : De quel numérique parlons-nous ?

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Daniel Kaplan

By Daniel Kaplan


Où l’on s’interroge sur ce qu’on entend par numérique, et ce que l’on peut en attendre (ou pas)

Transitions², un an après (4/6) : De quel numérique parlons-nous ?

Résumons…

  • La transition écologique vers laquelle nous devons aller est extraordinairement profonde.
  • Aucune prouesse technologique n’y suffira, si elle n’accompagne pas une transformation de notre modèle de développement, voire de vie.
  • Une transformation aussi profonde paraît peu vraisemblable sans le numérique, mais le numérique tel qu’il se propose aujourd’hui n’a pas de réponse convaincante… Faut-il changer de regard sur le numérique ?

La question-clé de Transitions² devient donc : « Comment le numérique (et l’innovation, et la technologie en général) peu(ven)t-il(s) contribuer à la transition écologique au-delà de ses (leurs) apports en termes d’efficience et de dématérialisation ? »

Pour y répondre, nous avons dû préciser un certain nombre d’idées et de concepts, qui forment sans doute l’acquis le plus solide de cette première année du programme : que désignons-nous par « numérique » ? Quels leviers d’action peut-il actionner au service de la transition écologique ? Quels modèles d’interaction, de coopération, de décision, économiques, d’innovation, invite-t-il à explorer ?

 

… Au fait, le numérique, c’est quoi ?

Dans chacun des travaux, chacune des interventions de Transitions², nous prenons désormais la précaution de décrire « le numérique » à partir de 4 composantes : technique (pour simplifier, l’informatique et les réseaux), cognitive (pour simplifier, la “data” comme support essentiel de la production d’informations, de connaissances et de décisions), sociale et culturelle (formes de communication, de socialisation, d’expression, de travail...) et économique (au sens large, réunissant toutes les formes de coopération et d’échange).

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(source : Transitions2-Fing-Cigref, Ecology by Design, avril 2016)

 

Cette énumération invite chacun à préciser quelles facettes du numérique il mobilise dans tel projet, telle analyse. Elle présente aussi l’avantage d’élargir le débat à de nouveaux objets. Elle s’intéresse par exemple au rôle de la donnée et des modèles dans la compréhension des questions environnementales, et à la perspective d’une production et d’un usage beaucoup plus larges de ces informations. Elle prête attention aux usages low tech et hyperlocaux, aux pratiques coopératives (comme, avec les précautions d’usage, à « l’économie collaborative »), aux formes fécondes de la cyberculture, aux modes d’innovation (ouverte, ascendante, open source, agile, de modèle d’affaires, « disruptive »…) qui jouent un rôle plus important dans le numérique qu’ailleurs, à la désintermédiation comme aux nouvelles plateformes, aux « communs » comme aux possibilités de l’empowerment des individus, aux outils de délibération et de décision collectives, etc.

 

Sur quels leviers permet-il d’agir ?

Dans le cadre du défi « Ecology by Design », qui explorait le rôle possible de la fonction informatique dans la transformation écologique de l’entreprise, nous avons proposé un « modèle », évidemment simplificateur, des leviers de transformation écologique d’un système productif.

 

Les leviers de transformation écologique d’un système productif

T2_Schema leviers

(source : Transitions2-Fing poster pour la COP21, novembre 2015)

 

Chaque « levier » mobilise différentes facettes du numérique. La réduction des intrants, qui focalise encore aujourd’hui la majorité des efforts, s’appuie plus particulièrement sur les dimensions technique et « data » ; la réduction des déchets fait des emprunts partout, selon que l’on l’aborde sous l’angle de l’écologie industrielle (qui a besoin de processus très structurés et documentés), des incitations à trier, ou encore de la « désobsolescence programmée » que prônent les communautés de makers. Parent pauvre, de ces efforts, la réduction de la demande repose plutôt sur les dimensions économique et socio-culturelle, par exemple au travers de « l’économie collaborative ». Mais les frontières ne sont heureusement pas étanches.

L’application d’un tel modèle nous a également appris deux ou trois choses.

Tout d’abord, les entreprises sont largement dépourvues d’outils conceptuels, méthodologiques, techniques et même comptables, pour appréhender leur transformation écologique. Aussi sincères soient-elles dans leur démarche de Responsabilité sociale et environnementale (RSE), elles ne disposent généralement pas des moyens d’en intégrer les orientations dans leurs opérations de tous les jours, ni d’en suivre les effets aussi finement que ce leur permet, sur la dimension économique, leur comptabilité financière.

Pour ces raisons, les cas de mobilisation du numérique au service d’objectifs écologiques restent en général isolés et confinés dans des « silos » : on optimise tel circuit de réutilisation, tel dispositif de gestion de l’énergie, la gestion du cycle de vie de telle ressource… Cependant, sur les axes « Réduire les intrants » et « Réduire les déchets », on constate une progression depuis une approche « problème par problème » vers une approche plus systémique : le smart (appliqué, par exemple, à un système énergétique ou une ville) ou les différentes formes d’économie circulaire, nécessitent bel et bien de casser les silos. Enfin, les « effets rebond » symbolisent l’interdépendance des leviers : en optimisant la productivité des intrants sans agir sur la demande, on peut, par exemple, juste libérer suffisamment de ressources financières (profits de l’entreprise, pouvoir d’achat) pour susciter de nouvelles offres et demandes, annulant tout le bénéfice écologique de l’opération.
 

Prochain billet : De la disruption à l’intention
Où l’on démontre que l’innovation et la disruption ne joueront un rôle significatif dans la transformation écologique que si celle-ci est au cœur de leurs intentions comme de leur fonctionnement.