Le numérique contre l’obsolescence et le gaspillage

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Manon Molins

By Manon Molins


3e chapitre système en transition du Kit AgirLocal

Le numérique contre l’obsolescence et le gaspillage

 

Le numérique contre l’obsolescence et le gaspillage

(dématérialisation, éco-conception, fab labs et repair cafés, réemploi, low tech… )

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Les enjeux

imageChaque année, plus de 300 millions de tonnes de déchets sont générées en France : une part importante des émissions de gaz à effet de serre et un enjeu majeur pour les territoires. Encouragés par les politiques nationales - via des appels à projets, des labellisations, des dispositifs fiscaux… - certains se donnent comme priorité de réduire le plus possible la production de déchets et de valoriser au mieux ceux qui n’ont pu être évités.

imageIls se regroupent par exemple sous le label “Territoires zéro déchet zéro gaspillage”, créé dans le cadre de la loi Transition Energétique qui fait de cet objectif une priorité, au même titre que l’économie circulaire. La promotion de l’économie circulaire et la réduction du gaspillage sur les territoires sont envisagées au niveau national, européen, mais également par la société civile, avec des associations qui œuvrent pour une société zéro gaspillage et zéro déchet.

imagePeu associé à ces dispositifs, le numérique y a pourtant un rôle majeur à jouer. Penser la durabilité des produits dès leur conception et combattre l’obsolescence programmée sont au coeur d’une partie de la culture numérique reposant sur la co-conception, la collaboration, le partage, l’ouverture, le libre…

imageAinsi, le numérique serait au service de l’économie circulaire, d’un moindre gaspillage ? Ce qui est certain, c’est qu’il est un levier puissant pour comprendre les enjeux d’un territoire, les flux qui le traversent : flux de production, d’importation, d’exportation, flux de déchets… autant de données indispensables à la mise en place de stratégies locales des "4 R" (Réduire, Réemployer, Réutiliser, Recycler).

imageMais le numérique n’est pas uniquement un outil de diagnostic, il est également mobilisé au travers d’initiatives à ancrage local fort. Il permet notamment de construire des biens conçus pour être jetés le plus tard possible voire jamais, pour les utiliser d’une manière durable, les recycler ou leur donner une seconde vie…

imageSur les modèles de l’internet - “software as a service”, “platform as a service” - nous pouvons nous orienter vers des modèles qui génèrent peu ou pas de déchets : économie de la fonctionnalité, économie collaborative, économie de l’usage, le “product as a service” génère des promesses au bénéfice de la circularité, qui méritent qu’on s’y attarde.

imageUn bien seul n’existe pas, il est le résultat d’un système mobilisant compétences et ressources. Les notions de gaspillage et d’obsolescence doivent donc être interrogées dans la gestion des ressources énergétiques et naturelles, sans oublier la proximité, au coeur de la circularité. Ces questions sont traitées dans les autres chapitres de ce kit.

Parole d’expert Parole d'expert

« En première ligne les "éco-activités", qui participent directement à la préservation de l’environnement, mais aussi de nombreux secteurs comme la location, la réparation et le réemploi ou la réutilisation, qui allongent la durée de vie des biens et réduisent la production de déchets. Portée par la révolution numérique, une telle mutation pourrait s’accompagner d’une modification radicale des modèles d’affaire économiques. »

France Stratégie, L’économie circulaire, combien d’emplois ? Avril 2016

 

 

 

Où le numérique fait-il levier ?

PRODUIRE MOINS ET MIEUX

image“ Le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas ”. Cet adage calqué sur celui de l’énergie s’illustre par de nouvelles pratiques outillées par le numérique pour penser la fabrication de biens et services durables, qui polluent moins que leurs prédécesseurs. Que ces initiatives soient portées par des collectifs de citoyens, des entreprises ou les pouvoirs publics, elles prônent une production limitant son empreinte carbone et augmentant la durée de vie des produits.

imageL’une des incarnations de ces dynamiques repose sur l’argument de la modularité : “je peux réparer, personnaliser, transformer” un produit. L’obsolescence programmée n’aurait ainsi plus de raison d’être. Dans le cas du projet ouvert OSE (Open Source Ecology), les plans de machines sont disponibles pour les fabriquer, les utiliser et les réparer localement. L’Open Hardware, ses technologies libres et ses services attenants (documentation, médiation, lieux d’innovation, mise en réseau d’une communauté...) ont un rôle à jouer pour relocaliser une production durable.

imageSi le numérique est une culture, des contre-cultures se développent : de nouvelles formes d’innovation “Low Tech” ou “No Tech” prônent la durabilité des produits. Dans un monde techno-solutionniste, les innovations qui utilisent des matériaux renouvelables, recyclables et/ou qui mobilisent une énergie cinétique apparaissent comme une alternative séduisante. Certains territoires les mettent déjà en place et articulent low tech et numérique, à l’image des vélos WeBike, installée dans les gares SNCF de Lyon, Avignon, Strasbourg qui permettent aux usagers de recharger leurs téléphones portables en pédalant.

imageDans une logique d’optimisation, la production de biens et de services devient immatérielle. La dématérialisation des services territoriaux permet leur reconfiguration, à distance ou à proximité, les objets eux-mêmes deviennent dématérialisés (lampe torche, appareil photo, baladeurs… regroupés en un seul objet, via des applications). Des organisations s’associent avec des coffres-forts numériques pour proposer à leurs clients le stockage en ligne des documents issus de leurs relations, comme les factures. Derrière : une promesse d’efficience et de frugalité - faire mieux avec moins - qui s’accompagne d’une promesse d’économie de ressources naturelles.

 

 

Controverses Controverse

  • Quels modèles économiques de l’Open Hardware ? Comment dépasser l’effet de niche ?
  • La dématérialisation, malgré ses multiples promesses, peut être source de désarroi et déshumanisante. Elle implique également une consommation forte d’énergie avec la multiplication des données à stocker.
  • Les initiatives “Low tech” - aujourd’hui en contradiction avec les logiques industrielles dominantes - resteront-elles à la “petite échelle” ?

Parole d’expert Parole d'expert

« Ce mode de production [distribué et Open Source] est crucial pour répondre aux enjeux de la transition écologique. Il permet à la fois une mise en commun des efforts de R&D pour inventer les solutions de demain ; une re-localisation plus aisée de la production dans une logique de Fab City ; une plus grande durabilité et réparabilité des produits grâce à la transparence sur les matériaux et processus de fabrication et donc un changement de posture du consommateur, qui comprend enfin comment sont fabriqués ses biens. »

Benjamin Tincq, sur le site “Acteurs du Paris Durable”.

 

CONSOMMER AUTREMENT : MIEUX CHOISIR ET PROLONGER L'USAGE

imageComment prendre de meilleures décisions en tant qu’usagers ? Quels produits favoriser ? L’outillage numérique des individus - en termes d’information - se fait de plus en plus divers : forums, bases de données (comme Base Impact de l’Ademe ou Open Food Facts qui précise les méthodes de conditionnement, l’origine, les labels des produits alimentaires), applications et services web, leur permettent de faire des choix éclairés, de vivre selon leurs valeurs, de consommer plus “green”, plus éthique en amont ou en aval de l’achat.

imageParmi ces technologies du quotidien, le site web MesGoûts permet de renseigner ce qui est important pour ses utilisateurs (consommer local, sans huile de palme, … ) et croise ces intentions avec sa base de données pour les guider dans leurs consommations. L’application Checkfood permet de scanner ses aliments, de rentrer la date de péremption et d’être prévenu avant celle-ci afin de le consommer ou d’en faire don. Certaines “technologies du partage” visent quant à elle à augmenter le taux d’usage des objets, à en exploiter la capacité excédentaire. La Machine du Voisin par exemple, permet de partager l’usage d’une machine à laver et éviter ainsi aux foyers un achat.

imageÉviter le gaspillage ne repose pas uniquement sur le consommateur, mais également sur les organisations. Plusieurs services comme Optimiam ou Too Good To Go mettent en lien consommateurs et commerces locaux pour écouler plus efficacement leur stock de produits frais périssables via des promotions.

image“ Si nous doublons la durée de vie de nos produits, nous divisons par deux ce qui finit dans les décharges ”. Cette phrase, inscrite dans le Fixer’s Manifesto, illustre les démarches de reprise du pouvoir des individus sur les objets qu’ils achètent. Plus que consommateurs, ils deviennent acteurs de la vie de leurs objets afin de protéger l’environnement, mais également de faire des économies, et/ou de créer par plaisir, seuls ou à plusieurs.

imageRéparer ses objets n’a jamais été aussi accessible : tutoriels Youtube, sites d’achat de pièces, communautés en ligne, mise à disposition de guides et surtout lieux dédiés (Repair Cafés, garages solidaires…), la culture numérique donne une nouvelle dimension à cet acte classique du bricolage. Spareka, par exemple, est une plateforme de vente de pièces détachées contre l'obsolescence programmée couplée à une communauté de réparateurs, pour limiter le gâchis.

imageEmblème du “ consommer autrement ”, certains lieux permettent non seulement de réparer les objets, mais souvent de les améliorer, d’en prolonger les cycles de vies. Dans ces “maker/fixer spaces” (repair café, FabLab, …) ouverts à tous, des machines permettent de créer de nouvelles pièces (par exemple avec une imprimante 3D), il est ainsi possible de mettre en réseaux objets, ressources et compétences des individus.

Controverses CONTROVERSE

  • “ N’est pas maker qui veut ”. Les initiatives de réparation, de création, d’information, demandent généralement aux individus de disposer de temps et d’être au courant de celles-ci, être “maker” devient une profession à temps plein.
  • La dynamique de réparation, de création, si elle est ouverte à tous, reste épisodique dans un monde de consommation massive où la désirabilité porte principalement sur les nouveautés.
  • La réparation des objets peut-être complexe et coûteuse pour le néophyte, les fabricants pensent leurs produits sur des modèles d’obsolescence programmée, les brevettent, les placent sous licence…
  • Asymétrie informationnelle : tandis que les grandes surfaces et commerces divers collectent toujours plus de données sur leurs clients, les individus ne disposent pas de l’usage de leurs données de consommation. Sans ses données, comment prendre facilement de meilleures décisions ?
  • Le Low Tech, la frugalité dans les moyens, sont compensés par la multiplication des ressources dématérialisées : Open Data, documentation en ligne, etc.

 

Parole d’expert Parole d'expert

« Le modèle de l’industrie de masse, qui vend des produits standardisés (ou même personnalisés) à des individus réduits au rôle de consommateurs, n’est plus satisfaisant, tant d’un point de vue individuel que d’un point de vue collectif. Trouver ou retrouver la capacité de réparer, modifier, adapter, créer des objets constitue un chemin vers l’émancipation, vers l’accomplissement de soi »

Véronique Routin, Que REfaire ? le “manifeste” des manifestes, 2013

 

GESTION DES DÉCHETS : RECYCLER, UPCYCLER, RÉEMPLOYER

imageLes pouvoirs publics locaux et les entreprises se saisissent des opportunités offertes par le numérique en matière de gestion de déchets. Depuis le tri optique à la gestion intelligente des flux, les logiciels traitent les données récoltées (caméra, capteurs…) pour optimiser et automatiser ce secteur. Les machines équipées de capteurs optiques et leurs logiciels affinent le tri et permettent d’intégrer des paramètres précis. On assiste également à la multiplication des services de pilotage de la collecte. Destinés aux entreprises et acteurs publics du territoire, ces services - comme Trackoe - utilisent la cartographie numérique, le relevé de données pour analyser le territoire et optimiser la prise de décision sur celui-ci comme la fréquence et les modalités d’interventions.

imageLe “Smart” fait également son entrée dans les poubelles des foyers : des bacs “pucés” permettent de suivre la gestion des déchets des individus et de leur attribuer une redevance incitative calculée en fonction du nombre de levées. Ces démarches peuvent émaner des acteurs publics, mais également des particuliers qui peuvent choisir de s’équiper d’objets connectés qui distinguent les comportements vertueux des autres (exemple : le projet BinCam).

imageSi le numérique est particulièrement présent dans la gestion des déchets et le recyclage avec tableau de bord, logiciels et objets intelligents, c’est à travers son outillage des pratiques collaboratives qu’il semble aujourd’hui le plus plébiscité. Depuis l’analyse collaborative du territoire pour repérer les lieux d’amoncellement des déchets - avec la cartographie en ligne de Let’s Do It par exemple, qui permettra ensuite aux volontaires de récolter tous les déchets repérés par la communauté d’utilisateurs - à l’Upcyclage ou réemploi permettant d’éviter de jeter et plutôt d’offrir, voire d’échanger.

imageLes sites de partage, de don, de revente sont légion. Ils peuvent être instaurés par les collectivités locales, comme Eco Mairie à Grande-Synthe et Dunkerque, un dispositif qui “cherche avant tout à promouvoir les échanges de proximité, notamment grâce à la géolocalisation, en se positionnant sur le seul périmètre de la collectivité”. Les projets peuvent également être portés par des associations, des réseaux d’utilisateurs, comme le réseau Freecycle dont les membres donnent gratuitement et sans contrepartie des objets à d'autres personnes dans leur groupe local ou comme Smart Cycle qui permet à sa communauté d’utilisateurs de géolocaliser les objets abandonnés. Ils peuvent être portés par des entreprises : l’iconique “Le Bon Coin”, site marchand, permet de revendre un objet et donc de prolonger son cycle de vie. Sans oublier les initiatives de partage des biens périssables comme Partage ton Frigo. Le web n’est pas seul vecteur de ces dynamiques, des lieux et initiatives physiques se font les accompagnateurs de démarches de partage ou de don (comme les ressourceries). L’objectif est donc de faciliter les pratiques d’échange (vente, revente, location, prêt gratuit, don) de biens entre des particuliers pour minimiser le volume de déchets.

Controverses controverse

  • Le recyclage intelligent, la recherche d’efficience par la technologie, déplacerait le problème : les technologies employées sont elles-mêmes difficilement recyclables...
  • Un monde d’applications, de services qui ont peu d’effets transformateurs et sont eux-mêmes source d’effet rebond. Par exemple un objet partagé n’est pas forcément durable : il est plus utilisé et doit être remplacé plus vite.
  • Verticalité, gouvernementalité algorithmique : infantilisation des citoyens, société de méfiance qui entraîne des comportements de contournement du système (ex : les poubelles connectées ont amené les usagers à “tricher” en déposant leurs déchets dans la poubelle du voisin ou en créant des zones de dépôts sauvages)

 

 

Parole d’expertParole d'expert

 « Lorenz Hilty insiste sur notre besoin d’un meilleur recyclage en favorisant l’usage de l’intelligence artificielle pour l’améliorer… Aurons-nous demain des robots de recyclage, à l’image de Wall-e, le célèbre robot recycleur de Pixar ? Si l’image est sympathique, elle semble peu mesurer la difficulté liée à l’usage dispersif que nous avons des matériaux, que pointait par exemple Philippe Bihouix. »

Hubert Guillaud, De la transition numérique à la résilience écologique

 

À vous de jouer !
Aller plus loin : Des défis à relever !

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  • Intégrer un bilan environnemental dans les innovations du partage et dans les innovations collaboratives ?
  • Doit-on penser, concevoir, fabriquer des objets pour le partage ?
  • Articuler davantage économie collaborative et économie de la fonctionnalité (l'acteur - industriel ou non - gardant la propriété du bien qu’il produit, va chercher à en assurer la plus longue longévité) ?
  • S’assurer que cette articulation, cette “économie de l’usage” soit bénéfique : inventer de nouveaux indicateurs ?
  • Mettre l’accent sur la circularité, la résilience et les usages dans les politiques publiques locales et moins sur les données, les algorithmes ?
  • Mobiliser la culture du hacking et du libre au service des stratégies locales de développement durable ?
  • Créer des alliances entre “makers” et acteurs industriels classiques ? (Des FabLab en entreprise se développent, Leroy Merlin intègre un Techshop à l’une de ses grandes surfaces...)
  • Renforcer l’outillage numérique des “Territoires zéro déchet zéro gaspillage" ?
  • Créer la cartographie des flux d’un territoire pour outiller les démarches d’économie circulaire ?

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